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L’ART MODERNE EN ALLEMAGNE.

bien senti, car souvent il a forcé la mesure de l’éloge ou élargi les limites de l’indulgence. Cela est d’autant plus méritoire de sa part, que, pour arriver à cet enthousiasme tolérant, il a dû faire souvent abnégation de toute rancune patriotique et de tout amour-propre national. Il a dû oublier que ces Allemands qu’il glorifie à tout propos, ne songent, eux, qu’à déprécier les ouvrages de nos artistes les plus éminens, qu’à rabaisser nos gloires les mieux acquises, et cela non-seulement en ce qui concerne les arts du dessin, mais tous les arts en général, la poésie et la littérature, comme la peinture ou la sculpture. Naguère encore, un de leurs artistes qu’on renomme[1], n’a-t-il pas jugé convenable d’exclure absolument la France de son tableau du Parnasse moderne ? M. H. Schwind n’a pas trouvé qu’un seul Français fût digne d’être placé, je ne dirais pas à côté d’Arioste, de Cervantes, de Shakspeare et de Goethe, mais de Wieland, Herder et Klopstock.

La patience et la constance allemandes sont depuis long-temps proverbiales. Ces vertus du peuple, exagérées chez quelques artistes, transforment en défauts d’éminentes qualités. Nous avons vu tout à l’heure les peintres puristes et naïfs remonter à l’enfance de l’art et se faire byzantins. Il en est d’autres que des préoccupations fort différentes ont précipités dans les excès d’un autre genre. La vérité matérielle les passionne et les égare, et, pour y arriver, ils ont recours aux procédés les plus étranges et à d’inimaginables recherches. Non contens de fortifier, à l’aide d’études anatomiques, l’apparence extérieure par la réalité cachée, de modifier la forme visible de la peau par celle du muscle qu’elle revêt, la forme sensible du muscle par celle de l’os qu’il recouvre, ils se consument dans de vaines applications de l’analyse chimique des diverses parties du corps humain à la couleur. Dans le cours du dernier siècle, lorsque le goût des études mathématiques s’était universellement répandu, on a vu les peintres penseurs de l’Allemagne appliquer bizarrement la géométrie et l’algèbre aux arts du dessin. Des théoriciens[2] allèrent même jusqu’à rechercher les propriétés d’une courbe algébrique dont les contours retraceraient les traits d’un visage connu. Ils s’efforcèrent de déterminer des formes par l’analyse algébrique ou par des équations qui, prises ensemble, devaient produire des ressemblances que la stéréométrie mesurerait et décomposerait à l’aide de certaines formules

  1. M. H. Sehwind de Vienne
  2. Le comte de Lamberg, Hudde, etc., etc.