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selon que cette disposition serait rectiligne ou ogivale, procéderait de la matière ou de l’esprit ; jusque dans la forme aquiline de la figure d’un artiste[1], jusque dans la couleur de Rembrandt, née des crises du doute moderne, à ce que nous assure M. Fortoul. N’est-ce pas là pousser jusqu’à ses dernières limites cet abus de la pensée que nous condamnions tout à l’heure ?

Que M. Fortoul se préoccupe ensuite beaucoup moins des rapports qui peuvent exister entre la communion de l’universel et du particulier et la peinture ; la vie est bien courte pour la consumer dans la recherche de vérités de cette nature. Qu’il se décide enfin à appeler le plus possible les choses par leur nom et à laisser la périphrase aux débutans ; que, par exemple, il ne dise pas, pour des poutres et du bois, des matériaux familiers. Nous lui prédirons alors un succès moins contestable que celui qu’il a pu obtenir. Ajoutons, pour être juste, que tout disposé qu’il semble à s’enthousiasmer pour l’archaïsme, quelques bizarres et allemandes que soient ses vues et ses théories, toutes vagues et confuses que paraissent les formes dont il enveloppe sa pensée, le livre qu’il vient de publier est encore l’un des plus complets qui ait paru sur la matière. La plupart des chapitres qu’il renferme ont été écrits en apprenant, on le voit trop ; aucun d’eux, cependant, n’est ni absolument vide, ni dénué d’intérêt. Nous ne croyons pouvoir mieux caractériser ce livre qu’en disant que, pareil à ces œuvres rudes et inachevées de ces maîtres archaïques si vantés par M. Fortoul tout à la fois il plaît et il offense, il repousse et il attire.

M. Fortoul tombe, en plus d’un endroit, dans un défaut commun à la plupart de nos écrivains qui se sont occupés de l’Allemagne, l’exaltation trop continue des contemporains. L’enthousiasme de Mme de Staël devait trouver des imitateurs. Son livre brillant nous semble le principe de cette réaction du génie du Nord contre le génie du Midi. M. Fortoul a tenté pour la peinture et les arts ce que cette femme célèbre avait exécuté pour la littérature et la poésie, la réhabilitation complète de la nationalité allemande. Malheureusement pour le succès de l’entreprise de M. Fortoul, la peinture et la sculpture n’avaient point d’hommes qui pussent être comparés aux Goethe, aux Schiller, aux Klopstock. Les noms plus ou moins connus qu’il a recueillis, les œuvres plus ou moins parfaites qu’il a décrites ou analysées, sont loin d’avoir la valeur qu’il leur attribue. M. Fortoul l’a

  1. De l’Art en Allemagne, t. I, p. 21.