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beaux parleurs et même avec les plus belles dames de la ville d’Athènes, qui a été la ville d’Aspasie tout comme elle a été la patrie de Platon. Quels grands poètes ! disait-il ; mais aussi que ces Athéniennes sont belles et touchantes ! Ainsi toute cette école de jeunes gens s’abandonnait gaiement à ses fortes études et à ses folles amours de chaque jour. Ils mettaient à profit, et de leur mieux, ces quelques instans de calme et de repos dans les agitations du monde romain. Le monde obéissait à César dictateur. Plus de guerres civiles, plus de discordes. La paix était dans l’univers, seulement elle n’était pas dans les cœurs ; seulement il y avait un mot qui devait tirer l’univers de ce sommeil : la république ! la république d’autrefois ! Hâtez-vous donc, jeunes gens ! hâtez-vous ; hâtez-vous d’apprendre, hâtez-vous d’aimer, hâtez-vous de vivre un jour, car vous et les vôtres, le présent et l’avenir, vous êtes placés sous le poignard de Brutus.

Figurez-vous que tout d’un coup, en 1814 par exemple, au milieu de la paix générale, cette immense nouvelle éclate en plein collége de France : L’empereur s’est échappé de l’île d’Elbe, — il revient, — il est à nos portes ! — Vive l’empereur ! — Soudain la leçon commencée est interrompue, toute cette foule de jeunes gens s’en va çà et là éperdue, délirante, celui-ci oubliant son livre, celui-là oubliant sa maîtresse, les uns et les autres criant : Vive l’empereur ! — Telle dut être, ce me semble, la soudaine apparition de Brutus dans l’école d’Athènes. Brutus avait donc tué César, Brutus, l’élève de Caton et son gendre. — Quel homme il était ! Et quel malheur qu’il soit venu si tard ! Arrivé sous la dictature de Sylla, Brutus aurait peut-être été le sauveur de la patrie ; arrivé sous Jules César, il n’a été que l’assassin de César. Il avait l’ardeur et le fanatisme du citoyen, le courage du soldat, la science du philosophe, l’allure d’un gentilhomme ; son cœur était indomptable, son ame était douce et tendre ; il s’était montré à Pharsale le plus rude antagoniste de César ; qui disait Brutus disait en même temps toute loyauté et toute vertu. — C’est ainsi qu’il jugeait Rome tout entière, et qu’on le vit venir à Athènes tout couvert du sang de César ; c’est ainsi qu’il se présenta dans l’école au milieu d’une dissertation commencée : — Jeunes gens, s’écria-t-il, vous voulez savoir ce que c’est que la vertu, la douleur, suivez-moi ! — Et en effet, ces jeunes gens le suivirent tous, car il avait à son front la double auréole du patriotisme et de la vertu. — Horace avait alors vingt-deux ans. Son père l’avait envoyé à Athènes pour en faire un poète ; Brutus en fit un soldat, un soldat de la liberté encore ! Ils s’en allèrent ainsi l’un et l’autre, Horace et Brutus, de Grèce en Asie ; Horace suivait