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L’ART MODERNE EN ALLEMAGNE.

gination heureuse, un ciel piquant, auront doués de l’accent aigu, rencontreront dans Giotto le type de l’expression naïve, de la mélodie simple et animée, de la grace vive ; ceux, enfin, que les idées de notre époque, les tristes retours, les mouvemens désordonnés, les abattemens et les élans extrêmes, les caprices même les plus sombres et les plus ardens, invitent à chercher des formes composées, pourront encore, dans les œuvres de Léonard de Vinci, de Michel-Ange et de leurs contemporains, puiser les élémens d’un idiome déjà mêlé et pompeux, au fond duquel subsiste cependant d’une manière impérissable le souvenir protecteur des hautes époques. »

Nous aimons à croire qu’en écrivant ces lignes, l’auteur s’est parfaitement compris. Nous ferons remarquer toutefois combien dans la critique ces idées systématiques nuisent à la forme et conduisent à la recherche et à l’enflure. Au lieu de ce style simple et naturel des hautes époques, où ce que l’on conçoit clairement s’exprime facilement, on arrive, en se torturant l’esprit pour être nouveau, à torturer la langue et à une sorte de style composé ou circonflexe, qui est tout-à-fait le style des époques de décadence.

Ces observations paraîtront peut-être sévères à l’auteur du livre sur l’Art en Allemagne ; mais, lorsque M. Fortoul montre moins d’ambition, lorsqu’il se borne à définir ou à décrire, sans entreprendre de professer, il révèle trop souvent de belles qualités de style et d’analyse pour que nous lui épargnions ces critiques. Qu’il se méfie donc de l’esprit de système, de l’emphase et de la singularité prétentieuse ; ces défauts, trop communs aujourd’hui, ont pu faire la fortune de tels écrivains en haut renom sans que ce soit pour cela une raison de les imiter. Nous condamnerons, d’après les mêmes causes, les continuelles et pathétiques apostrophes que l’auteur adresse soit à ses amis du Léman, soit aux artistes contemporains dont il analyse les ouvrages, soit même aux morts, dût-il trouver en eux des amis secourables dans l’éternité[1]. Ce sont là de ces bizarreries sentimentales qu’il faut laisser aux Allemands. Abandonnons-leur également ces dialogues baroques entre des monumens[2] de diverses origines ; ce lyrisme est déplacé dans une étude sérieuse de l’art. Laissons-leur aussi cette manie outrée du symbolisme, qui fait voir des symboles en tout et partout, jusque dans la disposition des liges architecturales dues aux seuls caprices, et qui, d’après M. Fortoul,

  1. Voir l’apostrophe que l’auteur adresse à Hemmeling.
  2. De l’Art en Allemagne, t. I, p. 227.