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L’ART MODERNE EN ALLEMAGNE.

Winkelmann et ses disciples, est aussi faux dans son sens. Il mène à la convention et à la manière par des voies différentes. L’idéal de Winkelmann, renouvelé des statuaires de la Grèce antique, proposait à l’artiste un singulier problème, la formation d’un tout complet et irréprochable au moyen de fragmens épars et rapportés. Il abolissait l’unité naturelle et typique à laquelle on peut arriver encore en choisissant la forme, en la corrigeant même s’il y a lieu, mais non pas en la déplaçant et en la dénaturant. Le spiritualisme des écoles contemporaines n’a pas si grand souci de la forme : il la veut, il est vrai, une et naturelle, c’est là son côté louable ; mais il s’inquiète peu de sa perfection, pourvu qu’elle exprime suffisamment certaines abstractions. L’individualité ainsi comprise perd toutefois ce caractère de vérité qui lui est propre ; elle n’est plus pour les chefs d’école qu’une sorte de représentation conventionnelle, de langue plus frappante que la langue écrite, et plus propre qu’elle à développer certaines idées philosophiques ou religieuses. Nous ne devons pas être surpris si pour mieux la parler, si pour être plus complètement ascétiques, les promoteurs de la révolution religieuse opérée dans la peinture allemande se sont crus sérieusement obligés d’abjurer le protestantisme, ce culte de la raison. Jaloux de cimenter le plus étroitement possible l’alliance de la religion et de l’art, la secte nouvelle, dite dès-lors nazaréenne[1], voulut se laver par le baptême de sa souillure matérialiste ; ses adeptes songèrent dans cette circonstance à établir une corrélation intime et tout-à-fait conséquente entre leur talent et leurs croyances, à mettre en pratique ce système de la solidarité de l’art et de la vie que M. Frédéric Schlegel a développé dans ses écrits.

Les chroniqueurs allemands nous racontent avec une bonne foi toute naïve la tradition suivante : Un artiste tyrolien peignait, dans l’une des coupoles d’Inspruck élevée de deux cents pieds au-dessus du sol, un portrait de saint Jean. Pour mieux juger de l’effet d’une main qu’il venait d’achever, le peintre se recula de quelques pas, oubliant que derrière lui se trouvait le vide. Il tomba et se croyait perdu, quand tout à coup il sentit la main du saint qu’il venait d’achever qui le saisissait, et qui, s’allongeant de deux cents pieds, le déposait doucement sur le pavé du temple. Cet artiste croyait, la foi le sauva. Nous douterions fort qu’elle produisît les mêmes miracles en faveur des nazaréens et des peintres leurs disciples. Ces conversions venues à point et dans un but évidemment intéressé

  1. On les appella nazareni.