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HORACE.

doute ! Le sceptique est aussi vieux que le croyant, il vivra autant que lui. Le sceptique croit au plaisir et à la douleur ; il dit comme Platon : — Il n’y a qu’un Dieu ; il dit comme Épicure : — Il n’y a pas de Dieu ! Le sceptique concilie, organise, arrange et dispose toutes choses. Il est le lien nécessaire de tous les systèmes, il est le sauveur de toutes les sectes. Ôtez le doute de la philosophie humaine, et vous n’avez plus qu’un affreux champ de bataille où toutes les opinions succombent. Au contraire, mêlez un peu de doute aux croyances les plus violentes, et soudain vous calmez comme par enchantement toutes les persécutions, toutes les colères, tous les crimes du fanatisme. Le sceptique est tout à la fois stoïcien comme Caton, épicurien comme Atticus, platonicien comme Cicéron ; d’où il suit que notre poète Horace fut un sceptique, et qu’il devait être un sceptique. Mais aussi avec quel enthousiasme et quel délire il a célébré la constance de Caton ! avec quel enjouement doucement aviné et ricaneur il s’est couronné des roses d’Épicure ! Comment expliquer la variété de l’ode d’Horace, sinon par le doute ? M. Walckenaër a fait d’Horace un croyant ! Il nous le représente sérieusement agenouillé aux autels de Jupiter, de Neptune, de Vesta, de Cérès, de Vulcain, et même aux autels de l’Hymen ! (Martiis cœlebs, etc.) Bien plus, vous verrez tout à l’heure que M. Walckenaër va faire d’Horace un républicain, un Brutus plus la lyre, un Caton avec l’amitié d’Octave ! Et pourquoi donc, je vous prie, se livrer à des paradoxes d’un si petit intérêt ?

Vous savez déjà, vous qui n’êtes pas des savans, heureusement pour eux et pour nous, quels étaient les dieux invoqués par le poète Horace ; il croyait à la jeunesse, à la poésie, à l’amour, au plaisir ; il croyait à Vénus, reine de la beauté ; il croyait aux trois Graces qu’il avait vues à demi nues aux douces clartés de la lune de mai ; il croyait aux amours de Jupiter, au cygne de Léda, et surtout aux filets de Vulcain ; il croyait aussi à la divinité de l’empereur Auguste : c’étaient là ses dieux et ses rois ; en un mot, il avait en lui-même la croyance des poètes, la croyance qui est la vie et l’ame du monde poétique. Quant à la religion proprement dite, quant à la contemplation de la Divinité, il ne faut les chercher, du temps d’Horace, que dans les traités de Cicéron. À l’heure solennelle où notre poète fut envoyé sous les savans ombrages de l’Académie, il ne s’agissait ni de lui apprendre la mythologie païenne, ni même de lui enseigner la philosophie ou les mathématiques ; il s’agissait tout simplement de lui enseigner les belles lettres, de lui enseigner les chefs-d’œuvre, de former son oreille à cette divine harmonie du langage, de le mettre en rapport avec les plus