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L’ART MODERNE EN ALLEMAGNE.

faire exception[1]. Ces prétendus novateurs oublièrent trop facilement que, pour rendre la réforme complète, ils devaient, avant tout, s’appliquer à développer les talens individuels, à laisser chacun de leurs disciples suivre l’impulsion de son caractère, et s’exercer d’après la manière de sentir et de voir qui lui était propre. Ils taillèrent un uniforme, le firent endosser à chacun des nouveaux convertis, et les rangèrent sous une seule et même bannière, la bannière religieuse du moyen-âge. Ils voulurent faire à leur époque une sorte de violence morale, et nous craignons fort que cette tentative, que le succès parut un moment couronner, ne soit préjudiciable à leur gloire. Nous ne sommes plus en effet au temps où la sainteté des mystères du catholicisme préoccupait exclusivement l’esprit des hommes, où le dogme était à la fois l’objet des méditations des docteurs, des chants du poète et des compositions de l’artiste. De nos jours la foi n’est plus que le partage du petit nombre ; et comment sans la foi se faire le peintre d’une croyance ? Quelques-uns des novateurs allemands abjurèrent, il est vrai, le protestantisme, mais plutôt pour établir une sorte de conséquence entre leurs œuvres et leurs doctrines, que pour obéir à une impérieuse conviction. Nous croyons donc que cette tentative de restauration de la peinture religieuse fut nuisible au progrès, que cette prétention de retremper l’art aux saintes eaux du baptême lui fut fatale ; elle conduisit néces-

  1. Les lignes suivantes, que Gérard écrivait à Cornélius en 1828, contiennent, mettant à part la légère nuance d’exagération polie que comporte toujours l’éloge adressé directement, l’appréciation la plus juste et la plus spirituellement exprimée du génie de Cornélius :

    « Certes, monsieur, vous occuperez une place honorable dans l’histoire des arts. Vous avez su rendre au génie de la peinture sa première jeunesse et sa première vigueur, et l’Allemagne vous devra l’honneur d’avoir accompli tout ce que les XVe et XVIe siècles lui avaient promis d’illustration. Cette régénération sera durable, parce qu’elle est fondée sur l’étude du vrai, dont les anciens avaient un si profond sentiment, parce qu’elle est surtout d’accord avec les mœurs, l’esprit et la littérature de votre époque, et c’est en quoi cette réforme diffère des modes passagères, qui, dans d’autres pays, ont souvent modifié les arts sans leur imprimer des caractères durables.

    « 23 septembre 1828. »

    Gérard n’eût peut-être pas écrit cela vers 1810 ; mais, en 1828, la nouvelle école avait fait ses preuves, et Gérard, qui manquait un peu de ce que l’artiste allemand possédait surabondamment, n’hésitait pas à se prononcer avec ce désintéressement du combattant qui s’est retiré de la lice où il a lui-même remporté plus d’un triomphe.