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teurs serviles, ils se vouaient volontairement à l’oubli. À peine attiraient-ils sur leurs œuvres l’attention du petit cercle qui les environnait. L’obscurité qui les cachait aux yeux du monde s’étendait presque jusqu’à leurs devanciers. Les artistes de la France et de l’Italie ne parlaient de ces vieux maîtres de l’Allemagne qu’avec ce mépris confiant qu’inspire une incontestable supériorité. Quand les chefs de l’école gallo-grecque, alors de mode, voulaient donner à leurs élèves des exemples de pauvreté de style, de sécheresse de dessin, de raideur et de dureté, ils les cherchaient au-delà du Rhin ; les tableaux d’Albert Dürer, de Lucas Cranach et d’Holbein, les seuls artistes de ces vieilles écoles qu’ils connussent, les leur fournissaient. Goethe et les critiques allemands, qui presque tous avaient adopté les idées de Winckelmann, ne différaient pas essentiellement d’opinion avec les critiques étrangers. L’admiration des monumens de l’art antique les rendait insensibles à tout autre genre de beauté. Quant aux artistes de l’Allemagne moderne, qui, vers 1800, végétaient dans les cinq ou six capitales du pays ; les Koch, les Wachter, les Schick[1], et qui mettaient en pratique les doctrines des arbitres du goût, je ne pense pas qu’au-delà du Rhin on soupçonnât même leur existence. Leurs noms n’étaient guère plus connus par-delà Mayence et Cologne que ceux de ces peintres qui, sur les bords du fleuve Jaune, décorent les pagodes du céleste empire. Quelques années plus tard, Mme de Staël, visitant les musées de l’Allemagne, s’était arrêtée de préférence devant les tableaux des grands maîtres de l’Italie, et nous avait décrit pour la millième fois la Nuit du Corrége ou la Madone de Raphaël qu’on voit à Dresde. Parmi les divers tableaux des peintres modernes, elle se rappelait seulement une tête du Dante qui avait un peu le caractère de la figure de l’Ossian de Gérard ; et pourquoi se la rappelait-elle ? parce que l’analogie lui semblait heureuse, « le Dante et le fils de Fingal pouvant se donner la main à travers les siècles et les nuages. » Les seuls noms dont elle se souvînt encore étaient ceux de Hartmann et de Schick.

Cependant, par une sorte de divination plus digne de son génie que ces concetti dont nous venons de citer un exemple, cette femme illustre semblait pressentir la révolution qui devait suivre. Quoique

  1. À Schick cependant commence, mais fort obscurément, la réaction de la peinture religieuse, que MM. Hess, Owerbeck et les peintres de leur école ont continuée. Schick, avant de s’établir à Rome et de peindre des sujets bibliques, avait étudié dans l’atelier de David. Sa couleur et son dessin se sont toujours ressentis de cette première direction. Ce peintre était originaire de Stuttgard.