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par regretter le retard de l’arrivée de M. de Rosny ; il explique au long, en les exagérant peut-être, quelques incidens qui ont passé à la traverse, et les changemens d’humeur de l’homme (M. de Villars). Deux envoyés en effet, l’un, dom Simon Antoine, de la part du roi d’Espagne, l’autre, La Chapelle-Marteau, de la part de la Ligue, venaient d’apporter des propositions au gouverneur. Desportes développe tout cela ; il étale les difficultés : il n’est pas fâché de se rendre nécessaire. Plusieurs catholiques des principaux de la cour du roi avaient de plus écrit à Villars de se méfier, de ne pas trop accorder sa confiance à un négociateur hérétique comme M. de Rosny. Desportes a eu soin de se munir de ces lettres ; mais il ne les montre qu’avec discrétion. Puis il montre sans aucune réserve trois autres lettres d’un ton tout différent : l’une du cardinal de Bourbon à M. de Villars pour l’enhardir à traiter, l’autre de M. de Vitry à Mme de Simiers sa sœur dans le même sens, et la troisième enfin de l’évêque d’Évreux, Du Perron, à Desportes lui-même. Celle-ci nous est très curieuse en ce qu’elle témoigne du singulier respect et de la déférence avec laquelle ce prélat éminent s’adresse à son ancien patron, se dit son obligé, et confesse ne devoir qu’à lui d’avoir pu connaître la cour. Après avoir communiqué ces pièces, Desportes donne son avis sur la marche à suivre, sur les écueils à tourner ; il promet son assistance : « Mais qu’on laisse seulement passer à M. de Villars toutes ses fougues… Et peu à peu nous le rangerons, dit-il, à ce qui sera juste et raisonnable. » Sully, bien qu’il jugeât qu’il pouvait bien y avoir de l’artifice en tout ce langage, ne laissa pas d’en demeurer d’accord, et, sur cette première conversation, on se donna le bonsoir.

Je ne dirai pas la suite avec détail ; on peut recourir à Sully lui-même ; il suffit qu’on ait le ton. Dans les conditions sine qua non que posait Villars, et à côté de l’amirauté exigée pour lui, il se trouvait les abbayes de Jumièges, Tiron, Bonport, Vallasse et Saint-Taurin, stipulées comme appartenant à de ses serviteurs. Nous savons quel serviteur, du moins le principal : il ne se perd pas de vue[1]. L’abbé de Tiron d’ailleurs aida bien réellement et efficacement à la solution ; il s’employa avec toute sa finesse à adoucir Villars et à le déterminer. Il faisait son pont à lui-même, près d’Henri IV, et ce prince pouvait

  1. Toutes ces abbayes furent-elles stipulées pour lui seul ? Ce serait plus qu’on ne lui en connaît. Quand on regarde le ciel par une belle nuit, on y découvre étoiles sur étoiles ; plus on regarde dans la vie de Desportes, et plus on y découvre d’abbayes.