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Du beau sang de ton Fils, ma grace et ma justice[1].

Il est probable que, durant les semaines d’affliction, ces pensées graves lui repassèrent au moins par l’esprit, de même que plus tard, après la Ligue, et vieillissant, il fut peut-être plus sincèrement repentant par accès qu’on ne l’a cru. Ces natures sensibles, même raffinées, sont ainsi.

Dans tous les cas cette variation, pour le moment, dura peu, et l’ambition le reprit de plus belle. Henri III mort (ce qu’il faut noter pour sa décharge), on retrouve Desportes ligueur, bien que sentant un peu le fagot, et attaché à l’amiral de Villars, cousin de Joyeuse : il l’avait probablement connu dans cette maison. Du Havre-de-Grace, où l’avait placé Joyeuse, Villars s’était jeté dans Rouen et y concentrait en lui tous les pouvoirs. C’était un caractère violent et fougueux, un capitaine plein d’ambition et d’ailleurs capable. Desportes s’est insinué près de lui ; il le conduit et le domine ; il se fait l’ame de son conseil et le bras droit de ses négociations ; il devient le véritable premier ministre enfin de ce roi d’Yvetot : la Satire Ménippée appelle ainsi Villars, qui était mieux que cela, et une espèce de roi en effet dans cette anarchie de la France. Quant à Desportes, le poète ingrat de l’Amirauté, comme la Ménippée dit encore, sa fortune en ces années désastreuses (1591-1594) se trouve autant réparée qu’elle peut l’être ; ses bénéfices sont saisis, il est vrai ; mais il a en main de quoi se les faire rendre, et avec usure. Dans toutes les négociations où il figure, il ne s’oublie pas.

Palma Cayet raconte que, dans le temps même où Villars se can-

  1. Le dernier tercet a été ainsi reproduit et agrandi par Des Barreaux :

    J’adore en périssant la raison qui t’aigrit :
    Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
    Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ ?

    Dans les dernières éditions de Desportes, au lieu du beau sang de ton Fils, on lit du clair sang, que j’aime moins. Ce qui dénote, à coup sûr, que Des Barreaux connaissait le sonnet de Desportes, c’est moins la ressemblance du sentiment, et même du dernier trait, que quelques mots insignifians, comme propice, aigrir, qui se trouvent avoir passé dans son sonnet. Du Radier fut le premier, dans l’article du Conservateur, à dénoncer cette imitation, et il en revendique la découverte avec une certaine vivacité, au tome Ier de ses Récréations historiques et critiques. Dans l’intervalle, en effet, un M. de La Blaquière avait écrit de Verdun une lettre à Fréron (Année littéraire, mars 1758), pour annoncer la même trouvaille. On pourrait soutenir également que Desportes a inspiré à Racan sa belle pièce de la Retraite ; il l’y a du moins aidé.