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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Rompra les forts liens dont mon col est pressé ?
Par quel vent reviendrai-je au port que j’ai laissé,
Suivant trop follement des espérances vaines ?

Verrai-je plus le temps qu’au doux bruit des fontaines,
Dans un bocage épais mollement tapissé,
Nous récitions nos vers, moi d’amour offensé,
Toi bruyant de nos Rois les victoires hautaines ?

Si j’échappe d’ici, Dorat, je te promets
Qu’Apollon et Cypris je suivrai désormais,
Sans que l’ambition mon repos importune.

Les venteuses faveurs ne me pourront tenter,
Et de peu je saurai mes désirs contenter,
Prenant congé de vous, Espérance et Fortune.

C’était également, si l’on s’en souvient, le vœu final de Gil Blas, mais qui, plus sage, paraît s’y être réellement tenu.

Convient-il de placer déjà à ce moment plusieurs des retours chrétiens de Desportes, de ces sonnets spirituels et de ces prières qui, dans une ame mobile, ne semblent pas avoir été sans émotion et sans sincérité ? Les Psaumes ne vinrent que plus tard, et furent l’œuvre de sa vieillesse. Mais, dès l’époque où nous sommes, il avait composé des pièces contrites, dont plusieurs datent certainement d’une grande maladie qu’il avait faite en 1570. On a cité souvent ce sonnet, assez pathétique, qui paraît bien avoir été l’original dont s’est inspiré Des Barreaux pour le sien devenu fameux :

Hélas ! si tu prends garde aux erreurs que j’ai faites,
Je l’avoue, ô Seigneur ! mon martyre est bien doux ;
Mais, si le sang de Christ a satisfait pour nous,
Tu décoches sur moi trop d’ardentes sagettes.

Que me demandes-tu ? Mes œuvres imparfaites,
Au lieu de t’adoucir, aigriront ton courroux ;
Sois-moi donc pitoyable, ô Dieu ! père de tous ;
Car où pourrai-je aller, si plus tu me rejettes ?

D’esprit triste et confus, de misère accablé,
En horreur à moi-même, angoisseux et troublé,
Je me jette à tes pieds, sois-moi doux et propice !

Ne tourne point les yeux sur mes actes pervers,
Ou, si tu les veux voir, vois-les teints et couverts