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« Je sais que vous êtes de ceux à qui il convient mieux de témoigner leur reconnaissance des bons offices, que de prendre la peine de les solliciter. Quand vous m’avez employé pour vous auprès du duc de Joyeuse, comptez que vous nous avez obligés l’un et l’autre ; c’est en pareille occasion qu’on peut dire qu’on se fait honneur, quand on rend service à un homme de mérite. »

Certes Desportes, on le sait trop, n’avait pas un sentiment moral très profond ni très rigide ; ce qu’on appelle dignité de conscience et principes ne doivent guère se chercher en lui ; mais, tout l’atteste, il avait une certaine libéralité et générosité de cœur, un charme et une séduction sociale qui font beaucoup pardonner, un tour, une représentation aisée, pleine de magnificence et d’honneur, enfin ce qu’on peut appeler du moins des parties de l’honnête homme.

De Thou reconnaissant le priait de l’introduire sur-le-champ chez le duc de Joyeuse pour offrir ses remerciemens confus. Mais Desportes, qui savait combien les grands sont légers et peu soucieux, même de la reconnaissance pour le bien qu’ils ont fait sans y songer autrement, éluda cette louable effusion, et lui dit qu’ils ne trouveraient pas le duc à cette heure ; qu’un remerciement si précipité le pourrait même importuner dans l’embarras d’affaires où l’on était, et qu’il se chargeait du compliment et des excuses. Cependant Joyeuse partit pour son commandement de Normandie ; la visite fut remise au retour. Quelque temps après (1587), survint la défaite de Coutras, où périt ce jeune seigneur, et le long enchaînement des calamités civiles recommença.

Ce fut un coup affreux pour Desportes, et qui semblait briser sa fortune au moment où elle touchait au faîte. L’affection pourtant, on aime à le penser, eut une grande part à ses regrets. Dans l’accablement où il tomba à la première nouvelle de cette mort, fuyant la société des hommes, il se retira chez Baïf à Saint-Victor, en ce monastère même des muses que nous avons décrit précédemment. C’est De Thou encore qui nous apprend cela, et qui alla l’y voir pour le consoler.

La poésie dut alors lui revenir en aide ; tout en suivant l’ambition, il l’avait maudite souvent. Il aimait la nature, il la sentait avec une sorte de vivacité tendre ; il put, durant ces quelques mois de retraite, se reprendre avec regret aux beaux jours envolés, et se redire ce sonnet de lui, déjà ancien, qu’il adressait au vieux Dorat :

Quel destin favorable, ennuyé de mes peines,