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HORACE.

de leur ruine ! En effet, à ce moment de l’histoire romaine, vous comprenez que tout s’ébranle, que tout se détruit, que l’abîme est partout, partout la confusion, partout le désordre, partout la mort. Année par année, en suivant l’histoire, depuis la naissance de notre poète jusqu’à sa mort, il vous sera bien facile de savoir à quelle confusion infinie se trouve réduit le monde romain. Ainsi supposez qu’Horace, arrivé à l’âge de dix-huit ans, se soit fait raconter par son père ces terribles annales, voici ce qu’il aura appris : les campagnes de Pompée en Orient, la conjuration de Catilina, la défaite et la mort de Mithridate, Lucullus enseignant aux Romains les licences et le luxe de l’Asie, Clodius souillant les mystères de la bonne déesse, Cicéron en Asie, Octave et Jules César préteurs, le premier triumvirat : César, Crassus et Pompée, — César dans les Gaules, — Pompée qui donne des jeux publics, Crassus battu par les Parthes, Clodius tué par Milon, Salluste, le grand historien, chassé du sénat, la bataille de Pharsale, Cléopâtre et César, et la bibliothèque d’Alexandrie que dévora l’incendie, comme si la flamme eût voulu réduire à leur plus éloquente expression les littératures antiques. Service immense rendu par ce feu salutaire aux beaux esprits d’autrefois, et que, grace à l’imprimerie, ne sauraient espérer les beaux esprits de nos jours. Pour le reste, vous avez la naissance de Tibulle et celle de Properce, — vous avez les plus beaux plaidoyers de Cicéron, — vous avez la mort de Lucrèce, devenu fou à la suite d’un philtre amoureux que lui fit prendre sa maîtresse jalouse. — Attendez encore deux années, et vous assisterez à la mort de Pompée, à la seconde dictature de César, au chef-d’œuvre de Salluste. — Catulle est mort cette même année 707. — Ainsi se suivent, à une égale distance, les quatre ou cinq grands écrivains qui doivent fonder la poésie des Romains.

Arrivé à ce moment solennel de la vie où l’enfant n’est pas tout-à-fait un jeune homme, le fils de l’affranchi fut envoyé aux écoles d’Athènes. La langue grecque était en ce temps-là, comme elle l’est encore aujourd’hui, la plus belle langue que les hommes aient jamais parlée. Tout le sénat romain, cette imposante réunion des plus grands seigneurs qui aient gouverné le monde, savait le grec. Plus d’un orateur grec avait plaidé en beau langage athénien, sa propre cause en présence des sénateurs de Rome. C’était la langue des historiens, des poètes, des orateurs. Cicéron, par son exemple, par ses préceptes, par ses leçons, avait porté à son comble l’enthousiasme de la jeunesse romaine pour la langue d’Homère et de Démosthènes. On citait le nom du vieux Caton, qui, à l’âge de quatre-vingts ans,