Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/909

Cette page a été validée par deux contributeurs.
899
ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

en tout et comme son premier ministre. On en a un piquant exemple raconté par De Thou en ses Mémoires. Celui-ci, âgé de trente-trois ans, n’était encore que maître des requêtes ; il avait passé sa jeunesse aux voyages. Le président De Thou, son oncle, le voulait pourvoir de sa survivance, et il se plaignait de la négligence de son neveu à s’y pousser. Il en parlait un jour sur ce ton à François Choesne, lieutenant-général de Chartres, qui courut raconter à l’autre De Thou les regrets du vieil oncle, et le presser de se mettre en mesure. Mais le futur historien allégua que le moment n’était pas venu, que les sollicitations n’allaient pas à son humeur, qu’il en faudrait d’infinies dans l’affaire en question ; enfin toutes sortes de défaites et d’excuses comme en sait trouver le mérite indépendant et peu ambitieux. Mais Choesne l’arrêta court : « Rien de plus simple, lui dit-il ; si vous croyez votre dignité intéressée, abstenez-vous, laissez-moi faire ; je me charge de tout. Vous connaissez Philippe Desportes, et vous n’ignorez pas qu’il est de mes parens et de mes amis. Il peut tout près du duc de Joyeuse, lequel fait tout près du roi. Ce sera, j’en réponds, leur faire plaisir, à Desportes et au duc, que de les employer pour vous. »

Et tout d’un trait, Choesne court chez Desportes qu’il trouve près de sortir et le portefeuille sous le bras, un portefeuille vert de ministre : oui, en vérité, notre gracieux poète en était là. Desportes allait chez le duc de Joyeuse travailler, comme on dit. En deux mots Choesne le met au fait ; c’était le matin : « Revenez dîner aujourd’hui, lui dit Desportes, et je vous rendrai bon compte[1]. » À l’heure du dîner, Choesne trouve l’affaire faite et De Thou président à mortier en survivance ; il court l’annoncer à celui-ci qui, tout surpris d’une telle facilité et d’une telle diligence, est confondu de se voir si en retard de civilité, et qui se rend lui-même au plus vite chez Desportes, entamant dès l’entrée toutes sortes d’excuses. Mais Desportes ne souffrit pas qu’il lui en dît davantage, et lui répondit noblement :

    De fleurs des vieux païens et fables mensongères,
    Ces écoliers d’erreur n’ont pas le style appris,
    Que l’Esprit de lumière apprend à nos esprits.
    De quelle oreille Dieu prend les phrases flatresses
    Desquelles ces pipeurs fléchissoient leurs maîtresses ?

    (Satire des Princes.)

  1. À propos de dîner, ceux de Desportes étaient célèbres et lui faisaient grand honneur : « Nullus enim eum vel hospitalis mensæ liberalibus epulis, vel omni denique civilis vitæ splendore superavit, » a dit Scévole de Sainte-Marthe.