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Nous sommes tout préparés maintenant à bien admettre la faveur de Desportes, le crédit immense dont il disposa, et sa part active dans les affaires. Prenons-le donc de ce côté et voyons-le à l’œuvre.

Il ne faut plus que savoir encore que notre abbé, si chargé de bénéfices et de titres ecclésiastiques, n’en omettait pourtant pas tout-à-fait les fonctions. On lit dans le Journal d’Henri III, à la date de 1585, et parmi les anecdotes burlesques de ces années de puérilité et de scandale : « Le dernier jour du mois (octobre), le Roi s’en alla à Vincennes pour passer les fêtes de la Toussaint et faire les pénitences et prières accoutumées avec ses confrères les Hiéronimites, auxquels, ledit jour du mois de septembre précédent, il avoit fait lui-même, et de sa bouche, le prêche ou exhortation ; et, quelques jours auparavant, il leur avoit fait faire pareille exhortation par Philippe Des Portes, abbé de Tiron, de Josaphat et d’Aurillac[1], son bien-aimé et favori poète. » Ainsi tour à tour, ce roi à bilboquets et à chapelets employait le bel esprit accommodant à prêcher ses confrères comme à pleurer ses mignons[2].

Si bien qu’il se sentît de longue main auprès d’Henri III, Desportes avait cru devoir s’attacher très immédiatement au duc de Joyeuse, le plus brillant et le plus actif des favoris d’alors ; il était son conseil

    des passages de D’Aubigné en ses Tragiques : style sauvage, inculte, hérissé, indignation morale qui ne se contient plus, injure ardente, continuelle, forcenée, rien n’y manque comme châtiment de l’élégie ; mais, la plupart du temps aussi, cette trop grossière éloquence ne se saurait citer, et, des deux poètes, le moins moral est encore le plus facile à transcrire. Dans la satire intitulée les Princes, on sent à tout moment l’allusion à Desportes :

    Des ordures des grands le poète se rend sale,
    Quand il peint en César un ord Sardanapale…
    .........Leurs poètes volages
    Nous chantent ces douceurs comme amoureuses rages…
    Qu’ils recherchent le los des affétés poètes… etc.

  1. Desportes eut bien encore d’autres titres et qualités : il fut chanoine de la Sainte-Chapelle, abbé de Bonport, de Vaux-de-Cernai ; cette dernière abbaye ne lui vint pourtant qu’en échange de celle d’Aurillac, qu’il permuta. Le Gallia christiana est tout marqué, à chaque volume, de son nom et de ses louanges. Nous lui découvrirons en avançant d’autres abbayes encore ; ç’a été sa vocation d’être le mieux crossé des élégiaques.
  2. D’Aubigné y pensait évidemment quand il s’écriait :

    Si, depuis quelque temps, vos rimeurs hypocrites,
    Déguisés, ont changé tant de phrases écrites
    Aux profanes amours, et de mêmes couleurs
    Dont ils servoient Satan, infames bateleurs,
    S’ils colorent encor leurs pompeuses prières