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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Ses dernières années furent gênées et chagrines ; il mourut du moins assez à propos (1589) pour ne pas voir sa maison chérie mise au pillage[1].

Mais revenons ; nous ne sommes guère qu’au début de Desportes, à ce lendemain de la Saint-Barthélemy où Bèze et les autres poètes huguenots comparent Charles IX à Hérode, et où notre nouveau venu lui dédie son Roland furieux imité de l’Arioste. Son Rodomont, autre imitation, qui n’a guère que sept cents vers, lui était payé 800 écus d’or, de ces écus dits à la couronne ; plus d’un écu par vers. Demandez à D’Aubigné et même à Malherbe : le Béarnais, avant ou après la messe, et ne fût-ce que d’intention, fit-il mine jamais d’être si généreux ?

Dreux du Radier a très bien remarqué le tact de Desportes au début, dans les moindres choses : à Charles IX, prince bouillant et impétueux, il s’adresse avec les fureurs de Roland en main et avec les fiertés de Rodomont ; au duc d’Anjou, plutôt galant et tendre, il dédie dans le même temps les beautés d’Angélique et les douleurs de ses amans. Courtisan délicat, il savait avant tout consulter les goûts de ses patrons et assortir ses offrandes.

Mais je ne suivrai pas Du Radier dans sa discussion des amours et des maîtresses de Desportes. Celui-ci a successivement célébré trois dames, sans préjudice des amours diverses. La première, Diane, était-elle en effet cette Diane de Cossé-Brissac qui devint comtesse de Mansfeld et eut une fin tragique, surprise et tuée par son mari dans un adultère ? La seconde maîtresse, Hippolyte, et la troisième, Cléonice, étaient-elles d’autres dames que nous puissions nommer de cette cour ? Du Radier s’y perd, et Tallemant le contredit. Ce qui

  1. Moreri et Goujet retardent cette mort jusqu’en 1591. — Colletet fils a ajouté la note suivante au manuscrit de son père : « Il me souvient, étant jeune enfant, d’avoir vu la maison de cet excellent homme que l’on montroit comme une marque précieuse de l’antiquité ; elle étoit située (sur la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet) à l’endroit même où l’on a depuis bâti la maison des religieuses angloises de l’ordre de saint Augustin, et sous chaque fenêtre de chambre on lisoit de belles inscriptions grecques en gros caractères, tirées du poète Anacréon, de Pindare, d’Homère et de plusieurs autres, qui attiroient agréablement les yeux des doctes passans. » Une de ces inscriptions, j’imagine, et non certes la moins appropriée, aurait été celle-ci, tirée de Théocrite : « La cigale est chère à la cigale, la fourmi à la fourmi, et l’épervier aux éperviers ; mais à moi la Muse et le chant. Que ma maison tout entière en soit pleine ! car ni le sommeil, ni l’éclat premier du renouveau n’est aussi doux, ni les fleurs ne plaisent aux abeilles autant qu’à moi les Muses me sont chères… »