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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

révolution, de grandes questions étaient en jeu, et que les idées, une fois lancées, ne s’arrêtèrent pas sur la pente ; ces gracieux et plaisans esprits de Marot, de Marguerite de Navarre, de Rabelais, étaient aisément suspects d’hérésie ou de pis encore. Plus tard on se le tint pour dit et on prit ses précautions : le bel-esprit et le sérieux se séparèrent.

L’école de Ronsard n’eut pas même grand effort ni calcul à faire pour ne pas se compromettre dans les graves questions du jour, dans ces disputes de politique, de théologie et de libre examen. Naturellement païens de forme et d’images, les poètes de cette génération restèrent bons catholiques en pratique et purement courtisans. On n’en trouverait que deux ou trois au plus qui firent exception, comme Théodore de Bèze ou Florent Chrestien. Quant à D’Aubigné et à Du Bartas, ils appartiennent déjà à une troisième génération, et ils essayèrent précisément à leur manière de se lever en opposans contre ce genre de poésie mythologique, artificielle et courtisanesque, qui les offensait.

Elle atteignit à son plus grand éclat et à sa perfection la plus polie avec Desportes, et c’est vers 1572 qu’elle se produisit dans cette seconde fleur. Je suis bien fâché de le dire, mais cette année 1572, celle même de la Saint-Barthélemy, fut une assez belle année poétique et littéraire. En 1572, dans un recueil intitulé : Imitations de quelques Chants de l’Arioste par divers Poètes françois, le libraire Lucas Breyer offrait au public la primeur des poésies inédites de Desportes, qui paraissaient plus au complet l’année suivante[1]. Dans le même temps, les œuvres revues de Ronsard étaient recueillies chez Gabriel Buon. Frédéric Morel mettait en vente celles de Jacques et Jean de La Taille (1572-1574.). Abel L’Angelier préparait une réimpression de Jacques Tahureau ; et enfin le même Lucas Breyer donnait une édition entière d’Antoine de Baïf, Amours, Jeux, Passetems et Poèmes (1572-1574). Or, dans le volume des Passetems, on lisait cet exécrable sonnet sur le corps de Gaspard de Coligny gisant sur le pavé :

Gaspar, tu dors ici, qui soulois en ta vie
Veiller pour endormir de tes ruses mon Roy ;
Mais lui, non endormi, t’a pris en désarroy,
Prévenant ton dessein et ta maudite envie.

  1. Les premières Œuvres de Philippe Des Portes, dédiées au roi de Pologne, Paris, Robert le Manguier, 1573, in-4o.