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de ce pays, à coup sûr, toute sorte de butin poétique et de matière à imitations gracieuses. On l’aperçoit en pied à la cour de France vers 1570 ; il débute, il est amoureux et célèbre ses martyres avec une douceur qui paraît nouvelle, même après tant d’amours de Du Bellay, de Ronsard et de Baïf. Ces deux derniers, vivans et régnans, l’accueillent et le célèbrent à leur tour dans des pièces de vers pleines de louanges. Desportes n’a que vingt-cinq ans, et déjà son heureuse étoile a chassé tous les nuages. Sa fortune marche devant, il n’a plus qu’à la suivre.

La situation n’avait jamais été meilleure en haut lieu pour les poètes ; Charles IX régnait, et il portait dans la protection des arts, dans le goût des vers en particulier, cette même impétuosité qu’il mettait à tout. L’habitude des poètes est de se plaindre des choses, et il n’est que trop vrai que de tout temps plusieurs, et des plus dignes, ont encouru d’amères rigueurs de la destinée. Pourtant l’âge des Mécènes ou de ceux qui y visent ne se trouve pas non plus si rare qu’on voudrait bien le dire, et, à prendre les diverses époques de notre histoire, les règnes favorables aux lettres et aux rimeurs n’ont pas manqué. Sans remonter beaucoup plus haut que le moment où nous sommes, il y avait eu de belles fortunes littéraires à la cour : le renom d’Alain Chartier résonnait encore ; les abbayes et les prélatures de Mellin de Saint-Gelais et de Hugues Salel étaient d’hier, et le bon Amyot cumulait toutes sortes d’honneurs à son corps défendant. Je crois pourtant qu’il faut distinguer entre la première faveur dont François Ier environna les poètes et savans, et celle dont ses successeurs continuèrent de les couvrir : celle-ci fut, à certains égards, beaucoup moins importante pour l’objet, mais, pour l’effet, beaucoup plus réelle et plus libérale que l’autre. François Ier avait bien commencé, mais la fin se soutint mal, et la dernière moitié de son règne coupa court au gracieux et libre essor du début. Ceux qu’il avait tant excités et favorisés d’abord, il se crut obligé de les réprimer ou du moins de les laisser poursuivre. Une assez grande obscurité entoure la plupart de ces vies, de Marot, de Des Periers, de Dolet[1] ; mais il paraît trop bien que sur la fin de François Ier tout se gâta. C’est qu’aussi, dans ce premier mouvement de nouveauté qu’avait si fort aidé l’enthousiasme du roi chevaleresque et qui fut toute une

  1. La biographie de nos poètes français ne devient guère possible au complet et avec une entière précision qu’à dater du milieu du XVIe siècle, et à partir de l’école de Ronsard.