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« Jamais je n’ai surpris en elle aucun désir de convaincre les gens de la réalité de ses apparitions. Une semblable croyance, disait-elle souvent, n’importe nullement à la religion, et l’homme n’en a pas besoin pour croire en Dieu. Il me suffit de garder pour moi cette conviction profonde, je n’ai que faire d’y vouloir convertir les hommes, et quand ils appellent hallucinations, illusion, délire, cette vie spirituelle à laquelle j’assiste, je me soumets et les laisse dire. Par malheur, ma vie a été faite ainsi, que je plonge dans ce monde invisible, et que lui plonge en moi, et que je suis seule à prendre part à cette existence surnaturelle à laquelle nul ne veut croire, car rien ne s’efface plus vite du cerveau de l’homme que l’idée de ces sortes d’apparitions et de fantômes. Je le sais par ma propre expérience, car il m’arrivait ainsi dans le commencement. »

Il n’est pas en effet d’impression que le tumulte de la vie dissipe plus rapidement. « Ces impressions, dit Novalis, provoquent, au moment même où elles nous affectent, une inspiration soudaine, une sorte d’état magnétique qui, une fois évanoui, le rapport ayant cessé, laisse le cerveau, instantanément ébranlé, rentrer dans ses anciens droits et reprendre son miroir analytique au point que nous finissons par nous persuader que nous avons été les jouets d’une illusion. »

Nous ne suivrons pas le docteur dans l’appréciation des différens effets produits par les substances physiques sur le sujet soumis à ses observations, non plus que dans les définitions du cercle solaire et du cercle vital. Nous aimons mieux renvoyer le lecteur à ce livre singulier, un des plus étranges, et, nous pouvons le dire, des plus consciencieusement élaborés qu’on ait jamais produits en pareille matière. Mais qu’il nous soit permis de nous arrêter un instant à cette langue mystérieuse à laquelle, au dire de Kerner, la cataleptique de Prevorst revenait sans cesse dans ses extases, et dont pres-

    pure et sa plus belle manifestation. C’était un visage d’une expression souffrante, mais élevée et tendre, et comme inondé d’un rayonnement céleste ; une langue pure, mesurée, solennelle, musicale, une sorte de récitatif ; une abondance de sentimens qui débordaient, et qu’on aurait pu comparer à des bandes de nuées, tantôt lumineuses, tantôt sombres, glissant au-dessus de l’ame, ou bien encore à des brises mélancoliques ou sereines s’engouffrant dans les cordes d’une merveilleuse harpe éolienne. À cet appareil surnaturel, aussi bien qu’à ces longs entretiens poursuivis avec des esprits invisibles, bienheureux ou réprouvés, il n’y avait point à en douter, nous étions en présence d’une véritable visionnaire, nous avions devant nous un être ayant commerce avec un monde supérieur. Cependant Kerner me proposa de me mettre en rapport magnétique avec elle ; je ne me souviens pas d’avoir jamais senti une impression semblable depuis que j’existe. Persuadé comme je l’étais qu’aussitôt que ma main se poserait dans la sienne, toute ma pensée, tout mon être lui seraient ouverts, et cela sans retour, lors même qu’il y aurait en moi quelque chose qu’il m’importerait de dérober, il me sembla, lorsque je lui tendis la main, qu’on m’ôtait la planche de dessous les pieds et que j’allais m’abîmer dans le vide. »