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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

sensible et la matière, et par conséquent à produire des phénomènes physiques du genre de ceux dont nous avons parlé.

« Voilà par quels argumens je voudrais combattre les incrédules qui s’étonnent et vous demandent, le sourire sur les lèvres, comment il peut arriver qu’un esprit ouvre une porte, soulève un poids et le laisse tomber ? Mais j’oubliais que tout ceci n’est qu’illusion, raillerie et mensonge, que Frédérique n’était qu’une aventurière, et que je ne suis, moi, qu’un imposteur ! J’ai visité Frédérique plus de trois mille fois, j’ai passé des heures, des jours entiers à son chevet, j’ai connu ses parens, ses amis, toutes ses relations dans ce monde, elle a vécu sous mes yeux les trois dernières années de sa malheureuse existence, elle est morte dans mes bras, et des gens qui ne l’ont jamais ni visitée, ni vue, des gens qui parlent d’elle comme l’aveugle des couleurs, vont crier ensuite au mensonge, à l’imposture !

« Frédérique ne parlait jamais de ces apparitions sans y avoir été poussée ; il fallait la supplier, insister vivement. Quand elle cédait, c’était plutôt par grace pour moi et les personnes que je lui amenais, et je dois dire qu’elle le faisait alors avec une simplicité, une persuasion intérieure, auxquelles ne résistaient pas les plus incrédules. Elle se sentait souvent si affligée de ce don surnaturel (à cause des bruits calomnieux qu’il éveillait de toutes parts), qu’elle ne se lassait pas de prier Dieu de le lui retirer. Dans une lettre qu’elle écrivait à un ami se trouve ce passage : « Hélas ! que ne suis-je en état d’empêcher que ces esprits s’occupent de moi et me visitent ! Mon état s’allégerait de beaucoup si je pouvais les éloigner, ou seulement savoir que d’autres en ont la révélation, ce que je ne souhaite à personne, Dieu m’en garde ! Il y a des momens où je me sens si seule, si abandonnée, si méconnue de tous les côtés, que je voudrais mourir ; cependant je me dis que c’est la volonté du Seigneur, et je me tais. »

« Si l’on pesait les avantages et les préjudices qui peuvent résulter d’une organisation douée de la faculté double de vivre à la fois dans ce monde visible et dans l’autre, dit Kant à peu près dans le même sens[1], on verrait que c’est là un présent du ciel qui ressemble assez à celui dont Junon voulut doter le vieux Tirésias qu’elle rendit aveugle afin de lui octroyer le don de prophétie !

« Quiconque s’approchait de Frédérique trouvait en elle une conscience religieuse et pure. Le merveilleux s’exhalait de sa bouche avec simplicité, naïveté, candeur, sans qu’elle ait jamais cherché à éveiller le moins du monde l’intérêt ou la curiosité. Elle disait ce qu’elle voyait, ce qu’elle entendait ; on allait au fond de la chose, et la chose était vraie. Je ne citerai ni deux ni vingt témoins à l’appui de ce que j’avance, mais tous ceux qui l’ont connue ici[2].

  1. Kant, Traumen eines Geistersehers.
  2. Rappelons ici les paroles de Strauss, l’auteur de la Vie de Jésus : « Kerner me reçut, selon son habitude, avec une bonté paternelle, et ne tarda pas à me présenter à la visionnaire, qui reposait dans une chambre au rez-de-chaussée de sa maison. Peu après, la visionnaire tomba dans un sommeil magnétique. J’eus ainsi pour la première fois le spectacle de cet état merveilleux, et, je puis le dire, dans sa plus