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d’ordinaire comme de petits coups secs frappés sur la muraille, les tables ou le bois du lit. Tantôt on croyait entendre des pas sur le carreau, tantôt vous eussiez dit le tâtonnement d’un animal, le bruissement d’une feuille de papier, le roulement d’une boule. Par instans c’était comme un bruit de sable qu’on tamise ou de cailloux qu’on jette, bruit qui ne laissait point d’être accompagné d’effet ; une fois entre autres, d’énormes plâtras se détachèrent du plafond et tombèrent à mes pieds. Il est à remarquer que ces bruits ne s’entendaient pas seulement dans la chambre de la visionnaire, mais dans toute la maison, et principalement dans mon appartement, qui se trouvait juste à l’étage au-dessus. Tant que durait la rumeur, Frédérique, d’ordinaire, ne voyait rien ; l’apparition ne commençait pour elle qu’un moment après. Moi-même, je me souviens parfaitement d’avoir vu un esprit à la place que Frédérique m’indiquait. Je ne dirai pas que j’en aurais pu, comme elle, définir la figure et les moindres traits ; c’était plutôt pour moi une forme grise et incertaine, une colonne vaporeuse de la grandeur d’un homme, debout au pied du lit de la visionnaire, et lui parlant tout bas. J’appris ensuite par Frédérique que cet esprit la visitait ce jour-là pour la troisième fois. Consultez les récits des autres visionnaires, et vous serez étonnés de les voir tous s’accorder avec ce que rapporte la cataleptique de Prevorst touchant ces bruits qui d’ordinaire accompagnent les apparitions surnaturelles, et qu’il faut prendre peut-être pour de malicieuses espiègleries de ces esprits, qui, fort bornés du reste dans leur manière d’agir sur le monde sensible, s’évertuent à marquer leur présence par quelque phénomène singulier, chaque fois qu’il leur arrive de forcer les limites de notre cercle solaire. Frédérique prétendait aussi que plus un esprit est sombre et ténébreux, plus il possède en lui la faculté de se manifester par le tapage et ces manœuvres fantastiques ; car, disait-elle, ils ne peuvent atteindre que par l’esprit des nerfs à des résultats semblables, et c’est surtout chez les esprits encore peu avancés dans la purification qu’il domine. Cet esprit des nerfs, invisible aux yeux comme l’air, appartient, en tant que substance éthérée, aux forces de la nature, à ses forces organiques plutôt que physiques. L’esprit des nerfs comprend en lui le principe énergique, intense, de l’activité que nous nous sentons. Nos muscles ne seraient qu’une chair inerte, si la puissance organique de l’esprit des nerfs ne les poussait à la contraction. La force de résistance que nous développons lorsqu’il nous arrive de gravir une montagne ou de soulever un fardeau vient en droite ligne, non pas des muscles, mais de l’esprit des nerfs, qui leur communique son énergie, car l’aptitude des fibres à se contracter ne saurait en aucune façon passer pour une force. À l’instant seulement où l’esprit imprime aux fibres la volonté, la force de contraction se manifeste. Or, tant que nous n’entrons en rapport avec l’objectivité que par l’intermédiaire d’un corps, il est tout simple que l’énergie de cet esprit des nerfs n’éclate que par lui. Cependant il pourrait se faire (et c’était la théorie de la visionnaire) qu’à la chute du corps cette puissance organique supérieure, essentielle, s’unît dans l’air à un principe spirituel, et parvînt de la sorte à agir sur le monde