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HORACE.

vous retrouvez le souvenir du village natal, la forêt, la montagne, le fleuve limpide, les frais ruisseaux, tous les enchantemens du jeune âge ; pour se les rappeler, tous ces heureux détails de l’enfance, il n’est pas besoin d’être un poète, il n’est besoin que de vieillir. Le père de cet enfant était un affranchi de quelque grande maison, il portait le nom de son patron : Horace. — C’était à Rome un de ces noms devenus vulgaires à force d’avoir été célèbres. Cet affranchi, comme un homme de bon sens qu’il était, avait compris tout d’abord que cette tache de l’esclavage ne pouvait guère se laver par les moyens ordinaires, que la guerre, la magistrature, les grandes charges de l’état, n’étaient pas à l’usage d’un fils d’affranchi ; mais en revanche il s’était dit que le domaine de l’imagination et de la pensée était le domaine de tous. Il savait que Rome tenait une école de belles-lettres, il avait entendu dire qu’Athènes, vaincue par les armes, régnait encore par l’éloquence et par la poésie. Il éleva son fils, non pas pour en faire un consul, ou un tribun, ou un censeur, ou même un avocat, ou même un philosophe ; il l’éleva pour en faire un homme de lettres, voire même un poète. L’idée lui vint, à lui le premier, que la langue romaine aurait aussi son tour d’éclat, d’élégance, de popularité souveraine, et que, dans ces débats littéraires qui allaient s’ouvrir, on ne s’inquiéterait guère de l’origine des combattans. Ainsi a calculé, à la fin de toutes nos guerres, quand l’empereur Napoléon fut mort à la peine, quand l’ancienne monarchie fut revenue, plus d’un père de famille prévoyant et sage : Mon fils ne peut plus être un soldat ; mon fils ne peut pas être un gentilhomme ; ouvrons-lui la carrière des belles-lettres. Sage calcul ! Mais il fallait être trois fois prévoyant pour faire un pareil calcul sous le consulat de Domitius Calvus et de Cornelius Lentulus.

M. Walckenaër, bien que Horace ait dit formellement : Mon père ne voulut pas m’envoyer à l’école de Flavius, est persuadé cependant, et (voyez la témérité !) nous sommes bien près d’être de son avis, qu’avant d’aller à Rome, le jeune Horace commença par apprendre à lire à l’école de son village. Bien plus, le savant biographe a découvert, dans les vers d’Horace, que ce pédagogue de Venusia s’appelait Flavius. Il est très heureux pour nous que M. Walckenaër n’ait pas découvert les agnats et les cognats de ce Flavius, car d’un seul de ceux-là il ne nous eût pas fait grace, à coup sûr. — L’enfant n’avait pas dix ans que déjà il disait adieu à son village. Son père vendait sa métairie, et de cet argent il achetait une charge de commissaire-priseur ; triste métier de vendre à l’encan le pauvre rien de tant de