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tique, il est social et sacré, il préside aux conquêtes des peuples, au progrès de la civilisation ; au camp de Saül, au sanctuaire de Délos, partout il s’interpose entre l’homme et les dieux, partout il intervient dans les affaires humaines comme une voix intelligente, inspirée, comme une voix d’en haut. L’observation moderne, en ôtant à l’état magnétique son illuminisme révélateur, son appareil mystique et sacerdotal, ne s’est guère préoccupée, on le pense, de la condition misérable qu’elle créait à ces organisations à part, errantes désormais, sans abri, sans asile, au milieu d’une société qui ne les comprend plus. Du moment que le fait social devient un fait individuel, isolé, un simple cas critique, il n’y a de refuge pour la pythie chassée du temple que la maison des fous. Je me trompe, une dernière ressource, un moyen suprême restait encore, que la cupidité de notre temps ne pouvait manquer d’employer. L’état magnétique, devenu, comme nous disions, un fait individuel, isolé, en dehors de la conservation commune, fut mis en demeure de pourvoir à ses propres besoins ; le somnambulisme fut érigé en industrie, on en trafiqua, et nous eûmes ces malheureuses filles que l’esprit visite à jour et heure fixe, ces cataleptiques de contrebande toujours prêtes à dépenser leur inspiration en menue monnaie d’ordonnances et de recettes. Cependant, parmi les sujets excentriques dont nous parlons, il s’en est rencontré plus d’une fois de sincères, d’honnêtes, et qui descendent, sans trop de bâtardise, de la sibylle antique ; témoin la Frédérique de Kerner, cette malheureuse créature condamnée, du berceau à la tombe, à vivre entre deux élémens qu’elle finit par ne plus distinguer l’un de l’autre, les pieds dans la réalité humaine, l’esprit dans la contemplation et l’extase, épouse à la fois et visionnaire. Quel sort que celui d’une organisation pareille ayant à se développer dans les conditions de la vie commune, le sort d’une chrysalide poursuivant son éclosion au milieu d’une troupe d’écoliers turbulens ! L’un lui souffle dessus, l’autre la remue avec force, un troisième la perce d’une aiguille, et la pauvre larve périt lentement sans pouvoir aboutir.

J’extrais de ce livre quelques particularités singulières, quelques observations caractéristiques sur ce sujet long-temps soumis à l’analyse du poète-docteur, et qu’on ne lira peut-être pas ici sans intérêt.

« Elle avait dans les yeux une lueur étrange, spirituelle, qui vous frappait dès l’abord, et, dans tous les rapports de l’existence, elle était plus esprit que femme. Qu’on se figure l’instant de la mort devenu un état permanent,