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REVUE DES DEUX MONDES.

Ils vont s’abattre sur les voiles.
J’ai peur ; arrêtez, matelots !

— Hurrah ! hu ! hu ! funèbre race !
Délogez, hôtes de malheur !
— Mais eux ne bougent pas de place.
— Arrêtez, matelots, je meurs ! —

Le premier laisse choir la jambe,
Le second un doigt tout sanglant,
Le troisième un œil noir qui flambe,
Et le quatrième une dent.

La lune éclaire, l’air est tiède,
Le vaisseau glisse doucement ;
La femme du sire de Haide
Gît morte aux bras de son galant !

Immédiatement après son voyage, Kerner s’établit pour quelque temps à Wildbad en qualité de médecin des eaux, puis de là se rendit à Welzheim. Au milieu des travaux scientifiques, des observations médicales, qu’il publia pendant son séjour en ces deux petites villes, remarquons déjà certaines poésies lyriques imprimées, tant avec Uhland dans le Dichterwald qu’en d’autres recueils littéraires de l’époque.

De Wildbad et de Welzheim, Kerner se transplanta d’abord à Gaildorf, plus tard à Weinsberg, non sans quelque regret de ces grands bois de sapins, de ces lacs solitaires et bleus perdus dans les crevasses du granit, de tout ce beau pays romantique dont il s’éloignait[1] ; ce qui ne l’empêcha pas cependant de plonger, avant peu, dans ce sol nouveau des racines plus profondes qu’il n’avait fait partout ailleurs. Il bâtit au pied de la Weibertreue sa maisonnette hospitalière sous de verts ombrages ; puis, ayant pris pour femme une jeune fille qu’il adorait, trois beaux enfans lui vinrent, qu’il voyait avec amour s’ébattre çà et là joyeusement[2]. La Weibertreue fut mise en honneur et restaurée ; une ère lyrique s’ouvrit, ère de légendes et de bons vieux récits où ne manquaient jamais de figurer les exploits glorieux de Weinsberg pendant la guerre des paysans, tout cela sans préjudice d’excellens écrits scientifiques aujourd’hui encore estimés ; car, avec Kerner, le poète et le docteur marchent de front, et il n’est

  1. Gedichte, p. 67.
  2. Gedichte, Zueignung.