Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.
84
REVUE DES DEUX MONDES.

patron. Voyez ce grand fleuve qui s’en va bondissant à la mer, qui donc s’avisera de s’inquiéter de ce que va devenir cette coque de noix battue par les ondes ? Mais c’est justement parce que la biographie d’Horace manquait tout-à-fait des élémens de la biographie, que tant de frivoles et tant de savans personnages l’ont entreprise, à commencer par Suétone, à finir par M. Walckenaër.

N’allez pas croire cependant qu’il ait fallu un grand génie ou une imagination bien puissante, pour venir à bout de ce tour de force en deux gros tomes in-octavo. Au contraire, rien n’est plus simple. Nous autres, membres de l’Académie des Inscriptions, nous avons pour cela des moyens infaillibles. Nous pouvons d’abord, à propos du poète, raconter toute l’histoire dont il a été ou dont il a dû être le témoin, depuis le second consulat de Jules-César jusqu’au premier consulat de Caïus Asinius Gallus, fils de Pollion, et ainsi nous avons à nos ordres le chapitre le plus important peut-être de l’histoire du monde ; ou bien, à l’exemple de M. Walckenaër, vous coupez la biographie de votre héros, non pas à la taille de l’histoire, mais, au contraire, c’est l’histoire même qui va servir de doublure complaisante au pourpoint biographique. — Non mihi res, sed me rebus subjungere conor ; c’est Horace lui-même qui l’a dit, et il serait cruellement étonné s’il pouvait voir comment, dans ce livre de M. Walkenaër, toute la chose romaine est soumise à la vie d’Horace ; comment, par exemple, si Brutus a tué César, c’était peut-être pour rendre à la ville éternelle ses anciennes lois cruellement violées, mais encore c’était tout exprès pour aller chercher dans la ville d’Athènes le fils d’un affranchi qui perdait son temps dans les écoles à discuter sur le plaisir et la douleur. C’est à l’aide de cette inversion que le dernier biographe du poète d’Auguste est parvenu à composer deux gros volumes : deux gros volumes d’inversions, c’est un peu trop, ce nous semble. Donc vous serez assez bons pour nous permettre l’autre façon, plus simple et plus vulgaire ; nous soumettrons Horace lui-même à l’inflexible histoire. Et soyez assurés que cette méthode-là ne sera encore que trop solennelle, appliquée au poète charmant qui a vécu toute sa vie pour l’oisiveté, pour la contemplation, pour l’étude facile, pour les causeries sans fin, pour les amitiés élégantes, pour le vin vieux, pour les frais ombrages, pour les jeunes amours.

Quintus Horatius Flaccus est né à Venusia, sur les confins de l’Apulie et de la Lucanie, loin de Rome, si l’on peut être loin de Rome quand on touche à la voie Appienne, ce magnifique sentier destiné à traverser le monde. Plus d’une fois, dans les vers d’Horace,