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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

de Jean-Paul, n’était l’éclair romantique qui le traverse, la vague tendance vers le moyen-âge qui, tout en précisant davantage le sentimental, en gêne un peu l’essor et le restreint. Le comique des Reiseschatten est aussi plus simple, plus populaire, et le caractère général de l’œuvre plus immédiat en quelque sorte, plus essentiellement naïf. Kerner, dans les Reiseschatten, manipule et travaille à fondre ensemble deux élémens. D’un côté, c’est l’élément romantique en ce qu’il a de négatif et de positif, avec son ironie plaisante, son amer dédain de toute vérité prosaïque, son enthousiasme pour le moyen-âge et la nature, son effusion sublime dans le recueillement religieux et l’amour ; de l’autre, ce sont les souvenirs du poète : impressions de personnes et de lieux, vicissitudes de l’existence, toutes choses qui ont pu l’affecter, et que tantôt il adapte aux côtés négatif ou positif de l’élément romantique, et tantôt éparpille entre les deux, sans dessein, au hasard, dans un laisser-aller humoristique. Et, le croira-t-on ? cette verve originale que Justin Kerner a de commun avec Jean-Paul, cette tendance vers le burlesque et le baroque, loin de porter atteinte au sérieux du poète, à son élégiaque gravité, comme il semblerait au premier abord, s’y coordonne à merveille, grace au spiritualisme dominant, à une métaphysique propre à cette intelligence de visionnaire un peu cousine de Jacob Böhm. Interrogez les idées de Kerner, suivez la théorie d’où relève chez lui toute inspiration : que trouvez-vous, sinon un détachement absolu des choses de la terre, une manière d’envisager l’existence qui se rapproche de l’ironie du moyen-âge, de l’esprit qui anime la danse macabre ? La vie par elle-même n’est rien, on n’en saurait tenir compte ; le véritable but n’est pas en elle, mais au-delà. Ses travaux, ses efforts, ses œuvres, son va-et-vient tumultueux, pour quiconque y regarde de près, ne sont qu’une éternelle mascarade, qu’un jeu de marionnettes ridicules dont le sage s’amuse, quitte à se mêler, lui aussi, à la bande des fous, lorsqu’à la fin le poids du sérieux l’écrase.

Le premier chapitre des Reiseschatten nous introduit par une belle soirée d’automne dans la vieille cité de Reichstadt. Les honnêtes bourgeois sont assis devant leurs portes, l’homme, la femme, la jeune fille, les voisins, la servante ; une de ces paisibles assemblées en plein air comme on en voit encore dans les petites villes de la Thuringe. L’enclume ne bat plus, nul chariot n’agite le quartier. Çà et là une voix s’élève, quelque fileuse qui chante au rouet ; mélancolique voix qui porte l’ame au recueillement. Peu à peu les bruits diminuent, le passant attardé fredonne encore, la rue devient