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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

sol s’en aperçoit à peine : distinguez-vous ces murailles croulantes, ces vieux pans de granit en ruines, cette tour féodale vermoulue ? C’est la Weibertreue. À ces mots, le lecteur m’arrête ; qu’est-que la Weibertreue ? Bürger va nous l’apprendre. Lorsqu’il s’agit d’une tour allemande, qu’elle s’élève sur les bords du Rhin ou du Neckar, soyez sûr qu’elle a sa légende généalogique ; et, si vous tenez à connaître les origines de son nom, adressez-vous à la poésie plutôt qu’à l’histoire.

LES FEMMES DE WEINSBERG.

« Qui me dira où est Weinsberg ? Une vaillante petite ville, ma foi, qui a dû pieusement bercer bien des fillettes et des femmes. Si jamais je me fiance, je veux me fiancer à Weinsberg.

« Un jour l’empereur Konrad en voulait à la bonne ville, et, s’avançant en grand tumulte, l’assiégeait en poussant contre elle ses hommes et ses chevaux.

« Comme la citadelle[1] tenait bon malgré sa détresse, l’empereur, enflammé de colère, fit publier par le héraut cette sentence : « Drôles ! apprenez que, si j’entre, chacun de vous sera pendu. »

« Sitôt que l’avis eut été proclamé à son de trompe, des cris d’alarme éclatèrent dans les maisons et dans les rues. Le pain était rare dans la ville, un bon conseil le devint encore davantage.

« — Malheur à moi, pauvre Corydon ! malheur à moi ! Kyrie eleison, s’écrièrent les pasteurs ; c’en est fait, c’en est fait de nous ! Oh ! malheur à moi, pauvre Corydon ! Il me semble déjà que j’étrangle.

« Mais, lorsque nous sommes à bout de tout, efforts, prières et conseils, il reste encore la ruse féminine pour nous tirer d’affaire ; car fourberie de moine et ruse de femme dépassent tout, comme vous savez.

« Une jeune femme, fiancée de la veille, avise un projet ingénieux dont tout le peuple s’édifie, et que vous, qui que vous soyez, applaudirez en souriant.

« À l’heure calme de minuit, la plus gracieuse ambassade de femmes se rend dans le camp et demande grace ; elle prie doucement, elle implore, mais n’obtient rien que ce qui suit :

« — Il est accordé aux femmes de sortir avec leurs plus précieux trésors ; ce qui restera sera passé au fil de l’épée et mis en pièces. — Avec cette capitulation, l’ambassade se retire soucieuse.

« Mais, dès que l’aube vient à poindre, attention ! Qu’arrive-t-il ? Voilà que la prochaine porte s’ouvre, et que chaque femme déloge, emportant sur son dos, vrai comme j’existe, son petit mari dans un sac.

  1. Depuis la Weibertreue (fidélité des femmes).