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Toujours est-il que nous ne viendrons en aide ni à La Fontaine, ni au poète Horace ; ils n’ont pas besoin qu’on les défende, ils se protègent assez d’eux-mêmes. Ils sont dans toutes les mémoires, ils sont dans tous les cœurs, ils sont les poètes de tous les âges de l’homme : à quoi bon les vouloir débarrasser de la rouille épaisse du commentateur, comme s’ils ne l’avaient pas dissipée tout d’abord de leur souffle puissant ?

Toutefois, pour déplorer de toutes nos forces tant de travaux inutiles, ce n’est pas à dire que nous n’ayons pas le droit de nous en servir. On raconte que même les efforts des alchimistes et des chercheurs du grand œuvre n’ont pas été tout-à-fait inutiles. Ces hardis souffleurs n’ont pas trouvé l’or, il est vrai ; mais le hasard, ce dieu souvent tout-puissant, les a conduits malgré eux à plus d’une découverte importante qu’ils ont attribuée à leur génie. Ainsi nous qui aimons les poètes pour nous-mêmes, non pas pour eux, nous égoïstes qui redoutons les nuages et qui ne trouvons jamais de plus beaux vers que des vers bien nets et bien limpides, nous servons-nous des commentaires et des commentateurs. Et en effet, à quoi sont-ils bons, sinon à rendre d’une lecture plus aimable, d’un abord plus facile, le poète tant commenté ? Voici comment nous espérons mettre à profit les commentaires de M. Walckenaër sur la vie et les poésies d’Horace. Dans tout le cours de ce récit, notre intention est de ne prendre à M. Walckenaër que les passages les moins contestables de ses deux gros volumes ; quant à ses nuages, quant à ses obscurités et à ses contresens, nous les lui laisserons bien volontiers. C’est là, du reste, une des épithètes de Jupiter Olympien : Jupiter l’assembleur de nuages, comme dit Homère ; quel est le commentateur, et surtout le commentateur d’Horace, dont on ne puisse pas en dire autant ?

Mais savez-vous d’abord quelle est la première difficulté qui se présente pour écrire la biographie de notre poète (le poète de M. Walckenaër et le mien) : c’est qu’à tout prendre il n’y a pas là grand sujet à écrire une biographie. Le simple poète qui passa sa vie à l’ombre active et sérieuse de l’empereur Auguste, à ce moment solennel de l’histoire du monde où la république romaine n’existe plus, où la monarchie universelle n’est pas encore établie, cet homme-là, s’il est en effet un de ces rares esprits dont la postérité doit recevoir sa joie, son instruction et son plaisir, n’aura presque rien à dire de lui-même. Supposez-le aussi vieux que le vieux Nestor, un pareil homme sait à peine s’il a vécu, tant il a été occupé à voir agir, et penser, et