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LETTRES DE CHINE.

le texte, extrait du Times. Nous ne pouvons pas l’examiner en détail. Il est si long, et, disons-le, la rédaction en est si peu nette, qu’il exigerait une lecture attentive, un travail que nous n’avons pas le temps de faire aujourd’hui ; mais si une lecture rapide ne nous a pas induits en erreur, il est, entre autres, deux dispositions dont on a le droit d’être surpris, même en se plaçant au point de vue des négociateurs.

Ainsi l’article 1er dit que l’Autriche, la Prusse et la Russie s’engagent à déclarer piraterie la traite des noirs, et à retirer la protection du pavillon à tout navire qui essaierait de faire la traite. Il est d’abord singulier que, dans un traité à cinq, trois des parties contractantes prennent un engagement tout particulier. Mais d’ailleurs l’article dit-il réellement ce que les parties voulaient dire ?

Si la traite est déclarée piraterie, elle tombe sous le droit commun. La piraterie est un délit du droit des gens, un délit de droit commun. On n’a pas besoin de stipulations particulières pour saisir un pirate et pour le punir. Il fallait alors s’arrêter à cet article 1er ; tout était dit.

Si c’est autre chose que les trois puissances ont voulu, si elles n’ont entendu énoncer qu’une sorte d’assimilation, si le nom de piraterie n’est là que comme une manifestation énergique de leur horreur pour la traite, sans entendre pour cela faire entrer la traite des noirs sous l’empire du droit commun à l’égard des pirates, pourquoi ajouter « et par ce seul fait le navire perdra tout droit à la protection du pavillon ? » S’il perd la protection du pavillon national, c’est que réellement vous le regardez comme un pirate, passible des répressions du droit commun. Ainsi, ou les mots ont conservé leur signification naturelle, et il fallait se borner, pour les trois puissances, à l’article 1er ; ou le mot de pirate n’est là que comme une manière de parler, et il ne fallait pas ajouter la clause de la perte de la protection nationale.

À l’article 9, on énumère certaines circonstances particulières comme pouvant indiquer qu’un navire a fait la traite. Qu’on eût énuméré ces circonstances comme des indices pouvant faire présumer la culpabilité du navire et en autoriser la saisie et la mise en jugement, cela peut à toute rigueur se concevoir ; mais là ne s’arrête pas la convention. Elle ajoute que, si un de ces faits est prouvé, le navire sera condamné et déclaré de bonne prise, à moins que les maîtres ou les propriétaires ne prouvent jusqu’à la dernière évidence que le navire faisait un trafic licite. Cette clause nous paraît exorbitante. C’est le rétablissement des preuves légales, des preuves objectives ; c’est une dérogation formelle aux principes essentiels de notre instruction criminelle. Il y a long-temps, Dieu merci, que nous n’imposons plus aux juges des preuves matérielles, ce qu’on appelait le tarif des preuves. Un de ces faits peut être prouvé, sans que l’accusé puisse prouver le contraire avec la dernière évidence, et sans que toutefois la conviction du juge soit formée : il devrait donc condamner sans conviction ? Tous les juges, chez nous, du moins pour les