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LETTRES DE CHINE.

le débat va s’agrandir ; on parle de marcher sur la capitale de la Chine, d’aller imposer des conditions à l’empereur jusque sur son trône, et cependant l’avenir ne s’offre pas sous un aspect plus rassurant. L’infériorité évidente des agens anglais dans l’art des négociations, infériorité qu’on ne saurait leur reprocher, car leur seul tort est d’avoir cru à un peu de bonne foi chez les négociateurs chinois, les victoires de l’Angleterre restées à peu près sans résultat jusqu’à présent, la mortalité qui décime ses troupes, les progrès lents et imparfaits, mais réels après tout, que les Chinois ont faits dans l’art de la guerre, tout devra concourir à rendre la résistance de l’empereur plus énergique, et l’issue de la lutte plus douteuse.

Au commencement de l’année 1840, le commerce d’opium avait pris un accroissement prodigieux. Quelques maisons anglaises réalisèrent en quelques mois des fortunes immenses. Les capitaux que l’interruption du commerce légal rendait inactifs, se portaient avidement sur les seules transactions qui fussent permises. Ainsi, il arriva en Chine ce qui arrive partout où il y a persécution ; les habitans du céleste empire recherchèrent l’opium avec plus d’ardeur que jamais ; les prix élevés obtenus sur toute la côte enlevèrent de la Chine, pendant les six derniers mois de 1839 et le premier semestre de 1840, plus d’argent qu’il n’en était sorti pendant l’année qui avait précédé cette époque. Le gouvernement impérial eut sans doute connaissance des nombreux navires contrebandiers qui sillonnaient les eaux du littoral de la Chine, et il dut se demander s’il n’avait pas plus perdu que gagné en sévissant avec tant de rigueur, à Canton, contre les détenteurs d’opium.

Dans les premiers jours de janvier 1840, le capitaine d’un navire anglais fut arrêté dans la rivière de Canton par un bateau mandarin, et conduit à Canton. La détention momentanée de ce sujet anglais donna lieu à une nouvelle menace de blocus qui resta sans effet, par suite de la mise en liberté du capitaine.

Au commencement de février, le taon-tou (maire de Macao) publia une proclamation par ordre du commissaire impérial. Il annonçait son intention de chasser de Macao les Anglais qui, fatigués de leur séjour à bord des navires, commençaient à revenir dans la ville. On prétendit, à cette époque, qu’à la suite de cette proclamation M. Elliot demanda au gouverneur de Macao une garde pour la protection de sa personne, et que, sur le refus de cet agent, il menaça de faire débarquer une compagnie de soldats de marine. Cette assertion était complètement fausse. M. Elliot est un homme de réflexion et de beaucoup de sens, et il n’eût pu commettre une semblable erreur ; la presse anglaise de Canton a souvent mal jugé les intentions et les actes de ce diplomate ; elle a été l’écho des intérêts froissés. M. Elliot connaissait trop bien la situation tout-à-fait équivoque dans laquelle se trouvaient les autorités portugaises de Macao pour leur imposer des devoirs d’hospitalité qu’il n’était pas en leur pouvoir de remplir. La garde que M. Elliot eût pu demander aux navires anglais, l’aurait d’ailleurs probablement protégé contre un coup de main, mais elle n’aurait pas sauvé toute la population portugaise de la famine,