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thés qui, en raison de la hausse des prix en Angleterre, devaient les indemniser de leurs pertes et même de la surcharge de frais qui leur était imposée.

La situation amenée par ces diverses circonstances était des plus étranges. Les sujets d’une nation se croyant insultés par les autorités d’une autre nation, faisant taire la voix d’un intérêt immense et pressant, obéissant aux injonctions d’un agent dont ils niaient chaque jour les pouvoirs, résistant aux avances de ceux qu’ils considéraient comme leurs ennemis et préférant laisser entre les mains d’une nation rivale les bénéfices d’un commerce dont, jusque-là, ils avaient pour ainsi dire le monopole ; les agens du gouvernement insulté autorisant ces transactions, les rendant même nécessaires par leurs dispositions, et, à défaut d’un blocus formel, prenant des mesures dont la conséquence devait être une perte immense pour le commerce de leur pays et une nouvelle activité dans les débouchés commerciaux du pays ennemi : telle était cette situation sans exemple peut-être dans l’histoire commerciale du monde. On est tenté de se demander si les agens anglais, qui ne croyaient pas avoir le droit de déclarer le blocus de la rivière de Canton, avaient celui d’en fermer le port à leur nation en le laissant ouvert aux pavillons neutres. J’ai déjà expliqué les raisons que M. Elliot pouvait avoir pour prendre cette détermination, et celles qui engagèrent, sauf deux exceptions, le commerce anglais à s’y conformer.

Nous devons dire, cependant, que le plénipotentiaire anglais sentit tout ce que cette situation avait de funeste pour les intérêts de son pays, et qu’il ne négligea rien pour y porter remède. Le 16 décembre, il adressa une requête au commissaire impérial, afin d’obtenir de lui que les Anglais pussent retourner à Macao avec leurs familles, et qu’en attendant le règlement à l’amiable des différends élevés entre les deux états, le commerce reprît son cours habituel. M. Elliot aurait dû, sans doute, s’épargner cette démarche dont il pouvait deviner à l’avance le résultat ; le commissaire impérial, fidèle à la ligne de conduite qu’il s’était tracée, avait plus d’une raison à faire valoir pour motiver son refus. L’opposition de M. Elliot à l’entrée en rivière des navires anglais, malgré l’invitation du commissaire impérial, le refus de livrer un Anglais pour venger le meurtre d’un Chinois, les canonnades de Kowloon et de Chuen-pee étaient, pour le commissaire, des argumens sans réplique, et il ne manqua pas de les mettre en avant. Loin de se relâcher de sa sévérité, il multiplia à l’infini, vers la fin de l’année 1839, les édits contre le commerce anglais et même contre l’importation des marchandises anglaises sous pavillon neutre. Les Américains n’en continuèrent pas moins leur rôle d’intermédiaires.

Ainsi se termina l’année 1839. Une autre année l’a suivie, série non interrompue de négociations et de combats, et on verra qu’elle a laissé les affaires anglaises, en Chine, dans une condition plus déplorable encore. Nous touchons aujourd’hui à la fin de la troisième année ; une nouvelle expédition est annoncée, de nouveaux acteurs vont, de part et d’autre, paraître sur la scène,