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mêmes droits qu’à Whampoa. Ainsi, deux intérêts d’égale nature, quoique opposés, tendaient à rétablir des relations en quelque sorte amicales entre les sujets des deux nations qui avaient l’une contre l’autre tant de griefs.

Ici, le capitaine Elliot exerce de nouveau un droit que ses compatriotes ne lui reconnaissent pas. D’après les termes de la convention, tout navire arrivant à Chuen-pee devait être visité par les autorités chinoises, et si de l’opium était trouvé à bord, le navire et la cargaison devaient être confisqués. C’était peut-être consacrer une doctrine dangereuse. Un navire de 800 tonneaux peut contenir de l’opium sans que le capitaine en ait connaissance. Sur un équipage de quatre-vingts ou cent personnes, il peut s’en rencontrer une chez qui l’amour du gain soit plus fort que toutes les recommandations. Nous en avons tous les jours l’exemple chez nous. Combien de fois n’arrive-t-il pas que, malgré tous les avertissemens des capitaines, la douane saisisse du tabac dans les coffres des passagers de nos navires ! Cette contravention à la loi est punie de la confiscation de la marchandise saisie et d’une amende. La convention entre le commissaire impérial et M. Elliot ne stipulait pas la quantité qui devait entraîner la confiscation ; une seule boule d’opium mise par malveillance à bord d’un navire pouvait compromettre des intérêts de plusieurs millions et la vie d’un grand nombre de sujets anglais. Ensuite, M. Elliot consentait à ce qu’aucun navire ne fût admis à commercer, à moins que le capitaine ou le consignataire n’eût préalablement déclaré que le navire ne contenait pas d’opium et qu’il n’en recevrait pas à bord. Je ne sais jusqu’à quel point les instructions de M. Elliot lui donnaient le droit de soumettre à des règles aussi positives le commerce anglais en Chine. N’était-ce pas se départir du système de liberté qui fait en grande partie la force du commerce anglais ? Cependant on ne peut nier qu’indépendamment du droit contesté, la mesure ne fût opportune. Elle ouvrait à cent navires anglais et à une immense valeur de produits un marché qui leur était fermé depuis plusieurs mois ; elle ne frappait qu’un commerce illégal en Chine et violemment poursuivi par les lois du pays. Elle donnait en même temps au gouvernement anglais une position avantageuse en le mettant tout-à-fait en dehors de ces transactions clandestines, objet de l’animadversion des autorités chinoises. Il faut l’avouer d’ailleurs, il est souvent des positions où le devoir laisse une certaine latitude, et dans lesquelles les agens d’un gouvernement, mus par de graves considérations, doivent savoir prendre sur eux de sortir de la ligne exacte qui leur est tracée. Il me semble que M. Elliot se trouvait dans une de ces situations-là.

Malheureusement tous les négocians anglais ne furent pas de la même opinion. Deux navires, le Thomas Coots et le Royal Saxon passèrent le Boca-Tigris, en dépit des injonctions du surintendant, signèrent l’engagement de se soumettre à toute la pénalité des lois chinoises, et furent admis par les autorités à commercer. Cet acte isolé d’insubordination eut des conséquences fatales pour le reste de la communauté. Le commissaire impérial pensa qu’il pouvait désormais exiger l’accomplissement des conditions