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LETTRES DE CHINE.

Le gouvernement anglais annula toute cette procédure, et ce ne fut pas sans raison, car M. Elliot avait évidemment outrepassé ses pouvoirs ; le code militaire a bien déterminé les cas où des conseils de guerre peuvent être convoqués, mais il a fixé en même temps les classes de personnes qui peuvent y être soumises. Quant à des cours judiciaires ayant pour mission de juger et de punir les crimes et délits commis par les citoyens, les hauts pouvoirs de l’état ont seuls la faculté de les instituer. La décision de M. Elliot était un dangereux précédent ; il devait se borner à faire office de juge d’instruction, et, l’affaire instruite, il devait remettre les pièces et l’accusé à son gouvernement, pour que la justice de son pays lui fût appliquée.

Cependant le gouvernement de Canton, irrité par le refus de M. Elliot de livrer le meurtrier, se préparait à prendre de sévères mesures : le 7 août, une proclamation ordonna à tous les domestiques chinois de quitter immédiatement la résidence des Anglais à Macao ; ordre fut donné aux marchands de comestibles de cesser d’apporter des provisions aux ennemis de la Chine, soit qu’ils restassent à Macao, soit qu’ils s’embarquassent à bord de leurs navires. Le 15, toutes ces mesures furent rigoureusement exécutées. Pendant quelques jours, les domestiques des maisons portugaises fournirent des provisions aux Anglais ; mais les prix de tous les comestibles s’élevèrent considérablement, et les classes pauvres de la ville commencèrent à souffrir beaucoup. La situation des autorités portugaises de Macao était très délicate ; le moment ne pouvait tarder où la justice chinoise les confondrait dans un même arrêt avec les coupables qu’elle voulait punir. Aussi, le 21 août, M. Elliot annonça-t-il publiquement aux sujets anglais qu’il lui était impossible de livrer un sujet de sa majesté britannique aux autorités chinoises, et que, ne voulant pas que les habitans de Macao fussent compromis plus qu’ils ne l’étaient déjà dans les différends de l’Angleterre avec la Chine, il prévenait ses compatriotes qu’il s’embarquerait le jour même avec sa famille. Ce jour-là, plusieurs familles anglaises quittèrent Macao avec le surintendant.

Le 24, un crime commis, dit-on, à l’instigation des autorités chinoises, vint prouver aux résidens anglais que le moment de la modération était passé. Une goélette anglaise, faisant route de Macao pour Hong-kong, fut attaquée par des bateaux chinois, et presque tout l’équipage fut massacré.

Enfin, le 26 août eut lieu l’embarquement de la communauté anglaise. Ce fut un triste spectacle. On avait à peine eu le temps de faire les préparatifs les plus nécessaires. Des femmes, au dernier terme de leur grossesse, furent obligées de chercher un asile sur le pont mobile des navires. La rareté des provisions était déjà alarmante, et l’avenir se présentait sous de lugubres couleurs ; mais ce fut une dure nécessité à laquelle on eût en vain tenté d’échapper. Le gouverneur de Macao se conduisit, dans cette circonstance, avec toute l’humanité que les Anglais avaient le droit d’attendre de lui ; pourtant, que pouvait-il faire ? Un simple ordre du vice-roi, en empêchant les provisions de l’intérieur d’arriver à Macao, affamait la ville. Il fallut bien céder.