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vigoureusement les idées d’un écrivain qui, en 1791, régnait en maître sur l’opinion.

Toutes ces graves et sérieuses lectures avaient un but déterminé. Il paraît que parmi les ouvrages d’imagination Napoléon ne distingua que l’Arioste, qui le séduisit, et (chose bizarre !) dont il fit aussi un extrait. Bien qu’imparfaits, quelques essais poétiques jetés çà et là dans ces cahiers intéressent vivement : ils sont empreints d’une profonde mélancolie. Les recherches mathématiques y sont fort rares. Le point le plus élevé est relatif à la cycloïde : le reste ne contient que des calculs pour l’artillerie.

Ces citations sont prises un peu au hasard dans cette masse de papiers : nous ne les multiplierons pas. Sans s’arrêter davantage aux détails, et considérant ces documens dans leur ensemble, on en peut tirer des conséquences importantes. On voit d’abord que Napoléon, comme Michel-Ange, comme Newton, comme tous les plus sublimes génies, a dû obéir à cette loi de l’humanité qui veut qu’on ne puisse rien faire de grand sans de grands efforts. Malgré sa supériorité, il a dû longuement étudier les matières dans lesquelles il se montra maître plus tard. Personne n’a plus travaillé que lui, et pendant plusieurs années il n’a cessé de lire et de méditer les ouvrages les plus profonds. Si il a eu des idées si nettes sur la législation, sur les finances, sur l’organisation de la société, ces idées ne sont pas sorties spontanément de son cerveau. Il a recueilli sur le trône les fruits des longs travaux du pauvre lieutenant d’artillerie. Il s’est formé par les moyens les plus propres au développement des hommes supérieurs, par le travail, par la solitude, par la méditation et par le malheur : nourriture des ames fortes et des grands esprits. L’exemple de Paoli a jeté dans son cœur le germe d’une noble émulation : plus tard la révolution lui a offert un champ vaste et brillant ; mais sans cette révolution Napoléon se serait toujours distingué, car les caractères comme le sien saisissent la fortune, et n’en sont pas les esclaves. Son esprit peu cultivé et le manque d’éducation auraient pu l’arrêter, si le caractère, qui supplée à tout, ne l’avait soutenu. On ne pourra plus dire que c’est le hasard qui l’a élevé. Lorsqu’après sept ans de retraite, Napoléon parut pour la première fois sur la scène du monde, il renfermait déjà tous les germes de sa future grandeur. Rien n’a été fortuit chez lui ; il a dû toujours lutter, et le succès n’a pas toujours couronné ses efforts. Ce n’est pas le hasard qui l’a porté à Toulon, car Napoléon ne laissait échapper au-