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SOUVENIRS DE LA JEUNESSE DE NAPOLÉON.

d’autre part, si ce passage semble contraire aux sentimens de gloire et de grandeur nationale que l’empereur professa toute sa vie, il ne rend que plus éclatant le triomphe de la France, qui a pu assujettir une ame si ardente et animée de sentimens si hostiles. C’est en combattant dix ans plus tard à la tête de cette immortelle armée d’Italie, que Napoléon apprit à aimer et à admirer les Français. D’ailleurs, c’est à dessein que nous avons choisi ce fragment, car il en surgit un grand enseignement pour la jeunesse. Supposons que, rentrant un soir plus triste que d’ordinaire Napoléon ait eu la faiblesse de céder aux idées qui l’assiégeaient, et qu’il ait presque machinalement lâché la détente d’un pistolet ! Il avait plus que d’autres le droit de s’appeler un génie incompris : Pauvre, obscur, sans avenir, attristé par les maux de son pays natal, il commençait à éprouver des malheurs, et il ne voyait pas les hommes en beau ! C’était donc le cas de se suicider, s’il en fut jamais ! Et pourtant Napoléon ne succomba pas à cette tentation. Il reprit courage et obéit à son devoir : acceptant le fardeau qui pesait sur ses épaules, il profita des loisirs de garnison, ordinairement si mal employés, et pendant les six ans qu’il fut lieutenant d’artillerie, il travailla sans relâche à étendre et à fortifier son esprit. Dans des villes comme Auxonne et Seurres, il trouva moyen de se procurer tous les livres dont il avait besoin. Il étudia son art, il étudia l’histoire ; il voulut connaître les ressources de la France. Il se nourrit des meilleurs ouvrages de l’antiquité, et acquit ainsi cette science du gouvernement, que dix ans plus tard il montra à un si haut degré. Napoléon doit apprendre à la jeunesse qu’il ne faut jamais désespérer de la fortune, et que la meilleure manière de se la rendre favorable, c’est de travailler avec ardeur et persévérance à son propre perfectionnement. Après un tel exemple, nul n’osera se plaindre d’être méconnu dans ce monde, ni dire que pour échapper à l’adversité, il faut se hâter de quitter la vie. Sans doute il serait insensé de rêver une aussi prodigieuse carrière ; mais tout homme qui se raidit contre l’adversité, qui lutte avec courage contre la mauvaise fortune, se placera tôt ou tard là où ses talens et surtout son caractère méritent de le porter. Que doit-on vouloir de plus ?

Au reste, il n’est pas inutile de faire remarquer que même dans les momens de découragement Napoléon conservait toute l’élévation de ses sentimens. Bien que forcé de mettre son pot au feu lui-même pour suffire à l’éducation de son jeune frère Louis, qu’il avait alors avec lui, ce n’est pas de sa pauvreté qu’il se plaint, c’est l’asservis-