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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

n’amènent d’ici à peu d’années quelque grand conflit européen. Dans cette hypothèse, les souverains allemands ne pourraient pas trouver de plus puissant auxiliaire qu’un mouvement patriotique semblable à celui de 1813, et nous comprenons qu’ils cherchent à le préparer d’avance, tout en doutant que les moyens qu’ils emploient soient les plus propres à atteindre ce but. Il nous reste maintenant à examiner quelle est la nature et la force de ce sentiment de nationalité qu’on cherche à exalter parmi les populations germaniques, et quelles ressources il peut offrir à la confédération pour résister aux attaques qui lui viendraient du dehors.

Nous avons montré plus haut tout ce qui manque à l’Allemagne sous le rapport de l’unité politique et religieuse, et combien nombreuses et profondes sont les divisions intestines qui menacent dans l’avenir le système par lequel elle est régie depuis vingt-cinq ans ; nous avons vu comment ce système s’est soutenu jusqu’ici grace à l’union des gouvernemens ligués par un intérêt commun contre les idées démocratiques et les passions révolutionnaires. Si l’étroite alliance des souverains leur a permis de faire face aux difficultés intérieures, tout porte à croire qu’elle se resserrerait encore en présence de dangers venant de l’extérieur, surtout de la France, que la préoccupation des souvenirs de l’empire fait toujours considérer comme l’ennemie naturelle de l’Allemagne, et contre laquelle on a organisé d’avance tout un système défensif appuyé sur une ligne formidable de forteresses et sur une nombreuse armée fédérale[1] prête à se mettre en campagne au premier signal. Indépendamment de ces ressources, les chefs de la confédération espéreraient, en cas de guerre, trouver un puissant secours dans l’esprit national des populations, et il ne faut pas croire que cette espérance soit une pure illusion. Au milieu des mécontentemens, des dissidences, des rivalités de toute espèce, il existe pourtant en Allemagne un sentiment de nationalité qui, sans être aussi fortement caractérisé que celui auquel la France doit sa remarquable unité, n’en est pas moins très réel et très vivant. À défaut de vie politique, il trouve depuis cinquante ans son expression et son aliment dans la littérature, qui est devenue un lien important entre tous les Allemands, parce qu’elle tient une plus grande

  1. L’armée fédérale se compose du contingent de chacun des états confédérés qui doivent fournir le centième de leur population ; elle est aujourd’hui de plus de 370,000 hommes équipés et exercés avec soin. En cas de guerre, elle a pour chef un généralissime nommé par la diète.