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elles prouvent que Napoléon, qui était alors Corse jusqu’au fond de l’ame (nous en aurons bientôt d’autres preuves), se trouvant dans sa famille vers la fin de 1791, avait accepté la place de lieutenant-colonel dans les gardes nationales volontaires formées par le département de la Corse, et que, par suite, il avait négligé de se rendre à la revue de rigueur du mois de décembre de la même année. Cet oubli lui avait valu une destitution. Mais bientôt il fut réintégré, à la sollicitation de différentes personnes. Les certificats qui lui furent délivrés à cette occasion se trouvent entre nos mains. Il est curieux de voir la plupart de ces pièces, favorables à Napoléon, signées par Pozzo di Borgo, qui depuis ne lui témoigna pas certes le même intérêt.

Ce n’est pas seulement par des influences extérieures que le caractère et l’esprit de Napoléon devaient se former : Paoli et le père Dupuy ont concouru sans doute à ce développement, mais c’est surtout par ses propres travaux, c’est par la lecture assidue des ouvrages les plus profonds sur les sciences, sur la législation, sur l’histoire, que Napoléon se préparait à ses brillantes destinées. Il lisait toujours la plume à la main, et non-seulement il faisait des extraits des ouvrages qu’il étudiait, ce qui est un besoin de tout lecteur grave et réfléchi, mais souvent à la suite de ces extraits il discutait ou critiquait les idées de l’auteur ; et quand son imagination ou son esprit était vivement frappé d’un sujet, il s’en emparait et il en formait l’objet d’un écrit spécial. De toutes les productions de la jeunesse de Napoléon, celle dont on a parlé le plus est une histoire de Corse qu’il avait voulu faire imprimer à Dole et qu’on croyait perdue. Dans ses mémoires, Lucien Buonaparte exprime en ces termes ses regrets au sujet de la perte de cet ouvrage :

« Les noms[1] de Mirabeau et de Raynal me ramènent à Napoléon. Napoléon, dans un de ses congés, qu’il venait passer à Ajaccio (c’était, je crois, en 1790), avait composé une histoire de Corse dont j’écrivis deux copies, et dont je regrette bien la perte. Un de ces deux manuscrits fut adressé à l’abbé Raynal, que mon frère avait connu à son passage à Marseille. Raynal trouva cet ouvrage tellement remarquable, qu’il voulut le communiquer à Mirabeau. Celui-ci, renvoyant le manuscrit, écrivit à Raynal que cette petite histoire lui semblait annoncer un génie du premier ordre. La réponse de Raynal s’accordait avec l’opinion du grand orateur, et Napoléon en fut ravi. J’ai

  1. Mémoires de Lucien Buonaparte. Paris, 1836, in-8o, p. 92.