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SOUVENIRS DE LA JEUNESSE DE NAPOLÉON.

laisse ; vous ajoutez qu’il y a dans votre ouvrage des choses plus fortes encore. Ne trouvez pas mauvais, mon cher ami, que je vous dise que je ne puis transcrire ces endroits : ce langage est trop hardi dans une monarchie. Je le condamnerais dans un Français séculier ; à plus forte raison, un Français religieux et prêtre doit-il l’éviter, et ne pas y contribuer. Votre vieillard d’ailleurs ne pourrait par ces réflexions qu’irriter le roi et la noblesse de France : ce ne serait pas assurément le moyen d’obtenir ce qu’il souhaite. Vous dites que ces discours sont aujourd’hui communs même aux femmes. Je vous assure que je ne les approuverai jamais. Je vous dirai encore que le vent emporte les paroles, qu’il n’en reste aucune trace, mais qu’un ouvrage imprimé demeure, se répand partout, et peut nuire à l’auteur convaincu par son écrit, s’il n’a pas eu soin de tenir son nom bien secret. Vous répliquerez de nouveau : la vérité ! la vérité ! Je sais qu’il y a des vérités que l’on peut et même que l’on doit dire ; mais il en est aussi qu’il faut taire, ou tout au moins beaucoup adoucir. Dans ce dernier cas, je ne cesserai de vous crier : de la discrétion ! de la discrétion ! Ne vous offensez pas, mon cher ami, de ma délicatesse : je la crois nécessaire. Soyez persuadé que mes observations n’ont pas pour principe l’envie de critiquer, mais qu’elles partent de mon zèle et de mon amitié. Je les continuerai, si vous l’avez agréable, dans l’autre partie de votre ouvrage, lorsque vous me l’aurez envoyée. »

Ces réflexions étaient fort judicieuses ; seulement le bon moine oubliait qu’on était alors en 1789, et ne devinait pas qu’il écrivait à Napoléon.

Nous nous sommes arrêté à Paoli et à Dupuy à cause de l’influence que dans des proportions diverses ils durent avoir tous les deux sur le développement de Napoléon. Il serait impossible d’analyser ici les autres pièces de cette correspondance. Dans une lettre du 9 janvier 1793, Saliceti, député à la convention, rend compte à Napoléon de ce qu’on faisait et de ce qu’on préparait à Paris dans ces jours terribles, et il termine par ces mots, qui lui donnent bien l’air d’un protecteur : « Vous pouvez ici compter entièrement sur moi, et peut-être je ne vous serai pas tout-à-fait inutile. »

Une lettre adressée à Napoléon par Lajard, ministre de la guerre en 1792, nous fait connaître une particularité assez curieuse, et sur laquelle on n’avait jusqu’ici que des ouï-dire : il résulte de cette lettre que Buonaparte avait été destitué pour avoir manqué à une revue de rigueur. Toutes les pièces relatives à cette affaire existent encore :