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« Paoli serait-il donc corrupteur ou ambitieux ?

« Corrupteur ! et pourquoi ? Est-ce pour se venger de la famille des Bourbons, dont la perfidie politique accabla sa patrie de maux et l’obligea à l’exil ? Mais ne vient-elle pas de périr avec la tyrannie, et ne venez-vous pas d’assouvir son ressentiment, s’il en conserve encore, dans le sang de Louis ?

« Corrupteur ! et pourquoi ? Est-ce pour rétablir l’aristocratie nobiliaire et sacerdotale ? Lui qui, dès l’âge de treize ans[1].... lui qui, à peine arrivé à la tête des affaires, détruisit les fiefs qui existaient et ne connut d’autre distinction que celle de citoyen ? lui qui lutta, il y a trente ans, contre Rome, et fut excommunié, s’empara des biens des évêques, enfin qui donna, après Venise ..... en Italie ................

« Corrupteur ! et pourquoi ? Pour donner la Corse à l’Angleterre, lui qui ne l’a pas voulu donner à la France malgré les offres de Chauvelin, qui ne lui eût épargné ni titres ni faveurs !

« Livrer la Corse à l’Angleterre ! Qu’y gagnerait-il, de vivre dans la fange de Londres ? Que n’y restait-il pas lorsqu’il y était exilé ?

« Paoli serait-il ambitieux ? Si Paoli est ambitieux, que peut-il désirer de plus ? Il est l’objet de l’amour de ses compatriotes, qui ne lui refusent rien ; il est à la tête de l’armée et se trouve à la veille de devoir défendre le pays contre une agression étrangère.

« Si Paoli était ambitieux, il a tout gagné à la république, et, s’il se montre attaché à ...... lors de la constituante, que ne doit-il faire aujourd’hui que le peuple est tout ?

« Paoli ambitieux ! Représentans, lorsque les Français étaient gouvernés par une cour corrompue, lorsqu’on ne croyait ni à la vertu ni à l’amour de la patrie, l’on a dû sans doute dire que Paoli était ambitieux. Nous avons fait la guerre aux tyrans ; cela n’a pas dû être pour l’amour de la patrie et de la liberté, mais par l’ambition des chefs ! C’est donc à Coblentz que Paoli doit passer pour

  1. Il y a ici plusieurs mots qu’on n’a pu lire. On sait que l’écriture de Napoléon était presque indéchiffrable, et il ne l’ignorait pas lui-même. Dans les premiers jours de l’empire, un homme d’une mise fort modeste se présenta devant lui. « Qui êtes-vous ? lui demanda Napoléon. — Sire, j’ai eu l’honneur de donner à Brienne, pendant quinze mois, des leçons d’écriture à votre majesté. — Le bel élève que vous avez fait là ! répliqua vivement l’empereur ; je vous en fais mon compliment. » Et il lui fit donner une pension. — Cette écriture, déjà si peu lisible alors, devint plus tard une véritable sténographie. C’est à peine si dans un mot il y avait la moitié des lettres dont il se composait. On assure que de la part de l’empereur c’était à un calcul pour cacher son ignorance de l’orthographe, qu’il ne sut jamais.