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écoutés, et leur voix se perdit dans le bruit des déclamations patriotiques et des chants guerriers. Sur ces entrefaites, le ministère Thiers fut renversé, et avec lui disparurent les velléités belliqueuses du gouvernement français. Les intentions les plus pacifiques furent proclamées à la tribune avec l’approbation de la chambre des députés ; les humiliations éprouvées en Orient furent acceptées avec cette résignation qu’on est convenu d’exiger pour les faits accomplis, et le nouveau cabinet, après être resté quelques mois dans cette position de transition qu’on appelait la politique d’isolement, a fini par rentrer aux conditions les plus modestes dans l’aréopage européen. Eh bien ! tant de preuves d’abnégation et tant de sacrifices faits à la paix du monde n’ont pas suffi pour tranquilliser les Allemands sur les projets de la France, si l’on en juge par certains journaux d’outre-Rhin, et surtout par la Gazette d’Augsbourg, le plus répandu de tous, qui ne cesse encore aujourd’hui de souffler le feu du patriotisme germanique en déclamant contre notre soif de conquêtes et notre désir inextinguible d’agrandissemens sur la rive gauche du Rhin. Tout cela, du reste, ne doit pas être pris trop au sérieux ; car, dans un pays où la presse périodique est soumise à la censure, les journaux sont moins les organes de la véritable opinion publique que le moyen dont se servent les gouvernemens pour en former une factice, et ceci est particulièrement vrai de la Gazette d’Augsbourg, qui reçoit notoirement des communications officieuses de la plupart des chancelleries européennes. Les gouvernemens allemands, surtout l’Autriche et la Prusse, ont plus d’un motif pour tâcher d’entretenir l’irritation contre la France, qui d’une part empêche d’examiner si la politique suivie par les deux puissances dans l’affaire d’Orient a été conforme aux véritables intérêts de l’Allemagne, et de l’autre tend à rendre impopulaires les idées constitutionnelles à raison de leur origine française, comme à faire oublier à la nation ses griefs politiques et religieux en détournant son attention vers les prétendus dangers qui menacent son indépendance. Ajoutons que les évènemens de l’année dernière ont montré que la paix du monde repose sur des bases assez peu solides, et que, malgré les dispositions pacifiques de ceux qui gouvernent aujourd’hui la France, on a le droit de craindre que des circonstances plus fortes que la volonté des hommes

    volonté. Nous ne voulons pas contester la nécessité de ces arrangemens ; mais en tout cas ils imposent aux deux puissances l’obligation morale de ne pas en venir aux armes sans la plus extrême urgence, et de ne pas donner occasion à une guerre où il ne s’agirait d’aucun intérêt national, etc., etc. »