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partout avec les égards dus à son grand courage, à son caractère et à ses malheurs. L’un des plus chauds partisans de cet illustre chef était Charles Buonaparte, qui n’avait cessé de combattre à ses côtés. Dans la campagne de 1769, qui fut la dernière, il se rendait à cheval, avec sa femme Létitia, déjà enceinte, dans tous les points menacés par l’ennemi, et c’est après ces courses d’amazone que Létitia mit au monde Napoléon. Dans son enfance, le futur empereur n’entendait parler que des exploits de Paoli, et ces souvenirs étaient ranimés par les cruautés que le comte de Narbonne et le général Sionville exerçaient impitoyablement sur les Corses. Nous verrons bientôt combien le cœur du jeune Napoléon était ému et irrité par les malheurs de son pays[1]. Ils le rendaient injuste envers la France, qui n’était pas responsable des fautes commises par les ministres de Louis XV. Ce premier exil de Paoli dura vingt-un ans. Rappelé au commencement de la révolution, il traversa la France, et fut accueilli avec honneur par l’assemblée constituante, par la garde nationale et par le roi. Son retour en Corse fut un véritable triomphe. Il devint de nouveau l’arbitre du pays. Napoléon, qui avait demandé qu’on élevât des statues à Paoli absent, sentit son enthousiasme s’accroître à l’arrivée de son héros. Les premiers travaux du jeune officier d’artillerie eurent pour objet la Corse ; il rédigea alors plusieurs projets pour la défense et l’organisation de cette île, qu’il voulait rendre forte et indépendante. On voit que l’exemple de Paoli était sans cesse devant les yeux d’un homme qui ne pouvait se contenter d’une destinée vulgaire, et à ce titre on ne saurait douter que le chef des montagnards corses n’ait eu la plus grande influence sur le développement du futur empereur. Cette influence s’était accrue au retour de Paoli, et Napoléon, dont il prédit les succès, s’attacha à lui comme à un père, et lui voua une admiration sans bornes. Dans un temps de troubles, Paoli ne pouvait jouir paisiblement de son ancienne autorité. Il fut attaqué par Buttafuoco, le même qui avait prié Rousseau d’être le législateur de la Corse. Napoléon ne tarda pas à prendre la défense de Paoli, qui lui adressa à ce sujet une lettre pleine de modération et de patriotisme. Il l’engage d’abord à mépriser les calomnies de Buttafuoco ; et comme Buonaparte travaillait alors à une histoire de Corse sur laquelle nous reviendrons tout à l’heure, Paoli lui dit que l’histoire

  1. Une lettre que Napoléon adressa en 1789 à Paoli, alors en Angleterre, et qui a été publiée, commence ainsi : « Général, je naquis quand la patrie périssait. Trente mille Français, vomis sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans des flots de sang, tel fut le spectacle odieux qui vint le premier frapper mes regards. »