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SOUVENIRS DE LA JEUNESSE DE NAPOLÉON.

On nous le peint général, premier consul, empereur ; on nous le montre tantôt revêtu de la pourpre impériale, tantôt enchaîné sur un rocher ; mais depuis le moment où il prit son essor à Toulon jusqu’au jour où il alla s’abattre au milieu de l’Océan, nous ne voyons en lui qu’un génie déjà développé, sans que rien nous montre comment il s’est formé, ou nous fasse connaître ce que furent ses premières années. Napoléon lui-même semble avoir été fort sobre de communications à ce sujet, et excepté quelques anecdotes de collége et quelques assertions vagues, nous avons été jusqu’ici dans une complète ignorance à l’égard de ce qui précéda son élévation et de ce qui peut l’expliquer.

Et cependant le grand problème est là : comment Napoléon s’est-il formé ? Comment a-t-il employé les années où il est resté lieutenant d’artillerie ? Quels sont les travaux par lesquels il se prépara à ses brillantes destinées ? Par quels moyens, en un mot, se sont développés ce caractère si extraordinaire, cette intelligence si prodigieuse ? Est-ce le hasard seul qui s’est plu à l’élever si haut ? Son génie s’est-il formé sans aucun secours, ou bien le talent a-t-il été dirigé chez lui par une volonté de fer, et, suivant la condition ordinaire de l’humanité, a-t-il été fortifié par un travail opiniâtre ? C’est là ce qu’il nous importe surtout de connaître dans le jeune officier, dans le futur empereur ; c’est de là surtout que doivent surgir de grands et utiles enseignemens.

Que fait à l’histoire de Napoléon que dans sa jeunesse il ait aimé les renoncules ou qu’il ait mangé des cerises avec Mlle du Colombier ? Dans la vie d’un homme illustre, les anecdotes n’ont de l’importance que lorsqu’elles font pressentir des qualités qui deviendront prédominantes ; mais, si nous lisons avec délices le récit des premières émotions de l’écrivain qui plus tard devait nous donner la Nouvelle Héloïse, nous cherchons autre chose qu’un sujet d’idylle dans la jeunesse de Napoléon. Ce n’est pas à l’épanouissement de l’ame d’un poète que nous voulons assister, ce sont les progrès d’un caractère indomptable et d’une intelligence forte et hardie que nous demandons à connaître, et, certes, le développement intérieur de Napoléon n’a pas été celui de Rousseau.

Mais qui nous dévoilera ce secret vingt ans après la mort de Napoléon, lorsque les témoins de son enfance et de sa première jeunesse sont presque tous descendus dans la tombe ? Et, d’ailleurs, qui l’aura suivi partout ? Qui connaîtra ses premiers travaux, ses pensées cachées ? Qui nous redira ses peines, ses succès, ses momens de décou-