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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

la patrie allemande, de mourir pour la défense du libre Rhin allemand ; on ne s’arrêta même pas en si beau chemin, et on proposa, par voies de représailles, de reprendre l’Alsace et la Lorraine, injustement enlevées à l’empire germanique. Ces exagérations trouvèrent bien quelques contradicteurs, lesquels firent observer que les mesures purement défensives de la France contre la possibilité d’une coalition européenne ne justifiaient guère les projets de conquête qu’on se plaisait à lui attribuer, que d’ailleurs il s’agissait avant tout de la Syrie, de l’Égypte et de l’empire ottoman, et qu’il était fort déraisonnable de vouloir engager la confédération germanique tout entière dans une querelle où elle n’était nullement intéressée, et où la Prusse et l’Autriche elle-même ne figuraient qu’en seconde ligne[1]. Mais les hommes sages et indépendans qui parlaient ainsi ne furent pas

  1. Nous citerons par exemple quelques passages du Courrier allemand, journal wurtembergeois hebdomadaire. Dans son numéro du 30 août 1840, après avoir exposé toutes les raisons historiques et politiques qui poussent la France vers l’Orient, il se demande de quel côté devaient être les sympathies de l’Allemagne dans le conflit engagé entre les grandes puissances au sujet de l’empire ottoman : « Nous le déclarons hautement, dit-il, elle devait encourager dans ses efforts une nation autrefois ennemie, aujourd’hui amie, et lui souhaiter le succès dans ses entreprises… Nous avons pour voisin un peuple avide d’action, qu’une impulsion intérieure pousse de projet en projet, d’entreprise en entreprise, qui cherche toujours la gloire, le combat, les évènemens ; or, quand nous voyions ce peuple avec une ardeur renouvelée du passé poursuivre du côté de l’Orient sa vieille vocation, trouver là une occupation pour son énergie et un but pour ses efforts inquiets, faire trêve enfin à ses divisions intérieures qui menacent continuellement la paix du monde, rien, ce semble, ne pouvait être plus avantageux pour l’Allemagne, et par conséquent ne devait attirer davantage ses sympathies. » Puis il montre que la Prusse et l’Autriche, en se laissant entraîner à la suite des deux autres puissances, ont méconnu leurs propres intérêts et surtout ceux de l’Allemagne ; il fait voir que tout ce qui a été dit des projets de conquête de la France sur le Rhin n’est qu’un leurre pour tromper l’opinion publique, et que les armemens de la France en face d’un commencement de coalition ne peuvent être sans injustice considérés comme une menace contre la nationalité germanique. Enfin, dans le numéro du 6 septembre, il se plaint ouvertement de la conduite des deux grandes puissances allemandes par rapport au reste de la confédération : « Si l’Autriche ou la Prusse sont menacées, dit-il, que ce soit de l’est ou de l’ouest, le reste de l’Allemagne sera à leurs côtés ; c’est un devoir et une nécessité pour la nation. Mais, si elles menacent un autre empire, nous pouvons disposer librement de nos sympathies. Le droit fédéral a donné à ces deux états un énorme privilége : ils peuvent, comme puissances européennes, commencer une guerre même offensive sans consulter la confédération, ce que ne peuvent pas faire les autres états allemands. Si, dans une guerre de cette espèce, leurs possessions allemandes sont attaquées, la confédération n’en est pas moins obligée à les secourir, et elle peut être ainsi entraînée à la guerre contre sa