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vieux soldats ; mais ces courts triomphes se passaient le lendemain de Moscou et la veille de Leipsig, de Leipsig, bataille funeste, boucherie de trois jours, à la suite de laquelle l’arrêt de notre destin fut prononcé. Ainsi que le crièrent en chœur les souverains alliés, étonnés eux-mêmes de leur victoire, « l’invincible avait été vaincu. » L’Alsace, la Lorraine, la Champagne, allaient être envahies, et Paris conquis.

Comment se garantir d’une amère douleur, en songeant aux milliers de Français qui ont engraissé cette terre de leur sang en attendant que leurs ossemens, sacrilége épouvantable ! allassent, pêle-mêle avec ceux de leurs vaincus et de leurs vainqueurs, clarifier le sirop des raffineries anglaises ? Comment se garder d’un accès de mélancolie en entendant prononcer le nom de Poniatowski, et celui de Bessières, et celui de Duroc, et enfin celui de Moreau, qui est venu périr ici, comme le dit pour sa honte l’inscription de son monument, à côté d’Alexandre ?

En allant à Prague, on traverse le champ de bataille de Kulm, où vinrent se dissiper comme un songe les espérances de la victoire de Dresde.

Le pont de Dresde offre un pénible souvenir de ces temps néfastes. Il s’y trouve un Christ que les Français, par un scrupule religieux qui ne leur était pas ordinaire, déplacèrent avec soin avant de faire sauter quelques arches. Les alliés le remirent en place avec une inscription portant que les Français l’avaient renversé, mais qu’eux l’avaient restauré. Cette inscription menteuse subsiste encore.

Assez du passé, il est consommé : un mot plutôt du présent, il console. La Saxe, par son industrie, a réparé ses pertes. C’est la partie la plus industrieuse de l’Allemagne entière, ce qui ne l’empêche pas d’occuper un rang éminent sur l’échelle intellectuelle. Les cotonnades de la Saxe sont supérieures à toutes celles des états voisins. Il arrive même à la Saxe, pour quelques articles, tels que la bonneterie, de battre l’Angleterre sur les marchés étrangers.

La Saxe ne néglige rien pour maintenir sa supériorité dans les arts utiles, sans préjudice du culte des lettres et des beaux-arts, auquel toutes les principautés saxonnes sont vouées. L’éducation industrielle est fort soignée dans l’Allemagne entière, mais en Saxe elle est plus perfectionnée que dans les autres états. Sur un budget de 400,000 thalers environ (1,500,000 fr.), la ville de Leipzig en consacre, m’a-t-on dit, 80,000 (300,000 fr.) à cet objet. Outre les écoles destinées à former des chefs et des contre-maîtres pour les manufactures et