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LA MONARCHIE AUTRICHIENNE.

qui portent encore son nom, où l’on tient constamment en réserve ce qui est nécessaire aux semailles. Le gouvernement actuel continue l’œuvre. Rien n’est négligé pour constituer une sorte de gentry, comme diraient les Anglais. Dans le but de fonder cette classe de propriétaires fonciers possédant une suffisante indépendance vis-à-vis des seigneurs, on a interdit à ceux-ci la faculté d’acheter les terres des paysans ; mais l’on ne s’est pas borné là. Il était probable que les paysans voudraient diviser indéfiniment leurs terres entre leurs enfans. Ainsi, le sol eût été morcelé, réduit en poudre. La population des campagnes, condamnée à végéter, comme les Irlandais, sur un sol en lambeaux, fût restée à la merci des nobles. Il fallait donc arrêter le morcellement du territoire au-delà d’un certain point, et c’est le parti que l’on a pris. Toute propriété dont la contenance n’est que de quarante metzen (sept hectares et demi) est indivisible même par héritage[1]. Au-dessous de ce terme, pour qu’elle soit partagée exceptionnellement, il faut un ensemble de formalités et de consentemens légaux qui ne sont accordés qu’à bon escient.

Je n’affirme pas que cette solution autrichienne soit celle qui convienne à la France ; mais je ne puis m’empêcher de déplorer que chez nous la division du sol soit poussée à l’infini sans qu’on prenne aucune mesure pour la limiter. En France, sous la législation actuelle, toutes les forces poussent au morcellement ; aucune mesure n’a été adoptée, ni même proposée pour encourager l’agglomération des parcelles. La production absolue du sol a augmenté assurément sous l’influence de la division ; mais, prise dans son ensemble, l’opération est, dans beaucoup de cas, mauvaise, en ce sens que l’accroissement des produits n’est pas en rapport avec l’immense quantité de travail dont le sol est devenu l’objet. Sur certains points la division est déjà telle que l’emploi de la charrue n’est plus possible. Les labeurs de l’homme se substituent à ceux des animaux et des machines. Nous rétrogradons jusqu’au temps d’avant Triptolème[2]. D’ailleurs, par l’effet de

  1. Cela ne veut pas dire que le père soit forcé de la léguer à un seul de ses enfans, au détriment des autres. Cette restriction relative à l’exploitation n’a aucun rapport avec le partage de la fortune paternelle.
  2. Dans quelques localités, et notamment dans les environs de Paris, on en est venu à ce point, non seulement que la culture à la charrue est abandonnée, et qu’il faut, comme il y a trois mille ans, cultiver à bras, mais aussi que la propriété ne peut plus supporter les moindres opérations légales. Il y a bon nombre de parcelles qui ne valent pas la peine de passer un acte, et dont, par conséquent, la propriété a cessé de se constater légalement. Il y a des parcelles imposées à 5 centimes, il y en a qui le sont à moins encore. On en trouve dont le revenu est moindre que le coût