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à son avancement, reculent indéfiniment les limites de sa puissance productrice, les besoins de tous peuvent être mutuellement satisfaits sans que nul éprouve de dommage. La société pouvant généreusement rétribuer ses chefs sans se condamner à des privations et à des sacrifices, le faste des grands n’est pas acheté par les larmes des inférieurs. Celui qui possède de nombreux instrumens de travail, — c’est la définition la plus vraie et la plus profonde des capitaux, — peut s’enrichir sans exploiter son serviteur, en l’élevant à l’aisance, au contraire. Chacun portant son activité sur les choses, l’homme cesse d’être opprimé. C’est la nature qui est exploitée, ce n’est plus le genre humain. L’homme n’asservit plus son semblable. Ce sont les élémens qui, asservis et travaillant à la place de l’homme, le dispensent des plus pénibles labeurs. La mécanique, la chimie et la physique se coalisent pour diminuer les fatigues de l’homme et accroître le fruit de ses efforts. Et, si l’organisation sociale est équitable, chacun peut espérer quelque loisir pour se livrer à la culture de son esprit et de son ame. Alors s’ouvre un régime où l’homme, développant ses facultés et ses forces, peut les faire servir à son bien-être, à sa dignité, au bonheur de ses semblables comme au sien propre. C’est l’ère de la vraie liberté, de celle qui seule est digne d’exciter l’amour et les transports de l’espèce humaine. Tel est l’avenir qui est au moment de commencer pour l’Europe, pourvu que le progrès moral suive le progrès matériel ; doux et brillant avenir qui aura été enfanté au milieu de bien des douleurs et des angoisses !

Ces idées générales de perfectibilité sociale par l’industrie et par la science sont aujourd’hui pleinement admises par le gouvernement autrichien. Autant il s’est montré adverse aux théories qui venaient, au nom du progrès, attaquer l’obéissance et la foi, autant il est jaloux de modérer et de ralentir tout mouvement intellectuel qui pourrait ébranler ces principes suprêmes, autant il est l’ami du progrès à l’égard de l’industrie et de la science applicable.

J’arrive maintenant aux conséquences politiques pratiques de ces généralités.

La prééminence acquise à la science et à l’industrie sur la guerre entraînait nécessairement la suppression des priviléges qui dérivaient de la conquête ou qui se motivaient par les nécessités absolues ou traditionnelles du système guerrier. À cet égard j’ai déjà dit que le gouvernement autrichien était sagement progressif. L’Autriche gravite évidemment vers la monarchie populaire, c’est-à-dire vers l’abolition des priviléges et vers l’application franche de l’égalité de-