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LA MONARCHIE AUTRICHIENNE.

la relation de supérieur à inférieur, formule du principe d’obéissance, éprouve une continuelle métamorphose. C’est ainsi que l’ouvrier d’esclave est devenu serf, de serf salarié, et qu’aujourd’hui dans l’Europe occidentale, devant la loi, il est l’égal des descendans des plus illustres familles et des plus grands dignitaires de l’état.

Tant que l’industrie et la science, sa sœur, qui l’éclaire, ont été dans l’enfance, le but principal de l’activité des peuples a été la guerre. C’était par la guerre et la conquête qu’on recherchait la richesse. La guerre seule procurait la distinction. La tendance, naturelle aux chefs, de manifester leur supériorité par le luxe extérieur ne pouvait se satisfaire que par l’asservissement du plus grand nombre, puisque le travail d’un homme produisait infiniment peu. La noblesse militaire, qui, après tout, rendait aux serfs le service de les protéger contre les nobles des pays voisins, se croyait en droit de leur prescrire, en échange, les plus rudes labeurs. Elle vivait à leurs dépens, en leur imposant des dîmes, des droits seigneuriaux, mille redevances sous divers prétextes. Écrasées de fatigues et courbées sous le joug, les masses étaient avilies moralement, privées de toute culture. Hors de l’industrie, il n’y a pas de société possible sans une majorité de vilains servant de marchepied et de matière taillable à une minorité dominatrice. Sans l’industrie, l’égalité serait à jamais une chimère, la liberté un rêve mensonger.

Avec l’industrie, dont la science est inséparable (et, par l’industrie, j’entends l’agriculture aussi bien que le commerce et les manufactures), tout peut, tout doit prendre un nouvel aspect. L’intérêt bien compris d’un peuple est que ses voisins soient riches, afin qu’avec eux il soit possible d’accomplir de vastes échanges. Ces échanges, moyennant certaines conditions aisées à remplir, étant profitables aux deux parties, il s’ensuit qu’un peuple s’enrichit alors en enrichissant les peuples qui l’entourent. En un mot, sous le régime industriel, les rapports internationaux peuvent être basés sur l’idée de communauté d’intérêt et d’association, tandis que, dans le régime purement militaire, la politique internationale a la spoliation pour but, l’oppression pour moyen. Avec l’industrie, la grande pensée de l’unité de la famille humaine enseignée par le christianisme peut recevoir une consécration terrestre, car les peuples deviennent frères ; avec la guerre, étranger est synonyme d’ennemi.

De même pour la politique intérieure. Quand l’industrie est la commune ressource de la société, quand les esprits et les mains y sont dressés, quand une grande quantité d’intelligences, consacrées