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à raisonner, à douter. Voulez-vous être mécanicien, manufacturier, agriculteur, architecte, vous trouverez à cet égard, en Autriche, tout ce qu’il vous faut, écoles, colléges, professeurs, laboratoires, collections. Voulez-vous être avocat, publiciste, homme de lettres, c’est-à-dire raisonner, discuter, douter, allez ailleurs, allez bien loin, etc. »

C’est ainsi que se manifeste en Autriche cette sollicitude extrême pour l’obéissance et pour la foi. Je fais ici non l’office d’apologiste, mais celui d’historien. Je ne juge pas les faits, je les signale. Le Français est le peuple le plus raisonneur de la terre. En France donc un pareil système serait détestable et détesté, mais en Autriche la population paraît pleinement l’accepter ; quant à présent, elle est heureuse et contente. S’il fallait juger cette politique d’un mot, je ne dirais point qu’elle est rétrograde ; c’est une prudence ombrageuse qui, sans exclure le progrès, le limite non-seulement dans la rapidité de ses allures, mais dans l’amplitude de son objet.

À côté des principes d’ordre qui sont éternels, que tout bon gouvernement doit s’efforcer de préserver d’atteintes fielleuses, et au maintien desquels le gouvernement autrichien se consacre avec une vigilance qui rappelle celle du dragon des Hespérides, il y a des faits qui changent et vont se perfectionnant sans cesse. Dès-lors les règles du gouvernement, directement ou indirectement relatives à ces faits, doivent successivement se modifier. Bien plus, les principes fondamentaux des sociétés, tout en restant fixes dans leur essence, se transforment extérieurement pour s’adapter à ces faits mobiles. De là des causes actives et incessantes de mobilité et de progrès dans les institutions politiques et sociales.

Le changement le plus visible qui s’opère dans le monde est celui qui provient du perfectionnement du travail agricole, manufacturier et commercial, et de l’agrandissement des connaissances humaines ; c’est ce qui répand le bien-être et les lumières. De là des transformations dans les institutions politiques et sociales, dans les règlemens internationaux et dans les lois intérieures des états. Il en résulte une modification de plus en plus profonde dans les rapports de peuple à peuple, et dans ceux des diverses classes au sein de chaque nation. Le progrès de l’industrie, qui est éminemment pacifique, et l’initiation d’un nombre d’hommes toujours croissant aux mystères de la science, qui se plaît au sein de la paix, tendent à abolir la guerre entre les peuples, et effacent chez chacun d’eux les mœurs, les habitudes et les lois militaires. Par cette même influence et bien entendu sous l’inspiration sublime du sentiment religieux,