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LA MONARCHIE AUTRICHIENNE.

delà d’un certain point elle ne suffit plus, et, pour établir la certitude, il faut invoquer l’aide du sentiment. Vous dites qu’il n’est pas possible d’établir, avec toute la rigueur d’une inflexible logique, qu’il est un Dieu, et que les préceptes religieux admis par les peuples civilisés sont exacts : soit. Mais est-ce qu’il n’est pas plus impossible encore de prouver contre le sentiment universel des hommes, contre la clameur de notre propre conscience, qu’il n’y a pas de Dieu et que les idées religieuses sont des duperies ?

Voilà donc deux principes immuables du gouvernement des sociétés humaines : l’obéissance et la foi. Les formules de ces principes peuvent varier selon les temps et les lieux, mais vainement on tenterait de remplacer ces principes eux-mêmes pour fonder un ordre social. Toute politique qui prétendrait faire abstraction de ces deux principes serait fausse, et mériterait d’être énergiquement repoussée, quand même elle se présenterait sous les séduisantes couleurs du progrès. Par ce motif, on ne peut faire un crime à l’Autriche de ce qu’elle a repoussé les innovations de l’Europe occidentale, qui consistaient à supprimer la foi, ou à retourner l’obéissance sens dessus dessous, en faisant du gouvernant l’inférieur du gouverné.

Il y a un mot de l’empereur François qui fit sensation, et qu’on a interprété comme une profession d’amour pour l’ignorance. Parlant aux professeurs de Laybach, ce prince leur déclara qu’il n’aimait pas les savans (den gelehrten stand). Il voulait dire qu’il n’aimait pas la littérature et les lettres. Comme l’a remarqué M. Saint-Marc Girardin, dans son ouvrage sur l’Instruction intermédiaire en Allemagne, « ainsi expliqué, le mot peut paraître encore impertinent, mais ce n’est plus un blasphème contre toute la civilisation. L’empereur François préférait les sciences aux lettres, les études qui se font en vue d’exercer un métier et un état aux études dites libérales qui ornent et développent l’esprit. Il était un partisan de l’instruction usuelle, un des adversaires de l’instruction classique, voilà tout ce que veut dire le mot de Laybach. » Ce qui prouve la parfaite exactitude du commentaire de M. Saint-Marc Girardin, c’est qu’en Autriche l’instruction primaire est obligatoire. La loi punit les parens qui n’envoient pas leurs enfans à l’école. L’instruction pratique et professionnelle y est encouragée. « Le gouvernement autrichien, dit M. Saint-Marc Girardin, s’efforce de donner au peuple cette instruction qui apprend à l’homme à mieux se servir de ses forces et de celles de la nature, qui fait les bons ouvriers, les bons laboureurs, et non cette instruction qui agace l’intelligence, qui lui apprend à examiner,