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ment où elle entendait en disposer de la sorte. Puisque des princes abusés et des ministres présomptueux se refusaient à faire la révolution par en haut, elle devait s’accomplir par en bas, et l’on sait aujourd’hui avec quelles douleurs !

Sans l’avertissement donné aux rois par la révolution française, il est possible et probable, je le crois, que l’entreprise de Joseph II, traitée comme la boutade d’un utopiste, eût été abandonnée de ses successeurs ; mais, à la faveur de cet enseignement terrible, les traditions de ce prince se sont maintenues ; seulement on a ralenti le pas qu’il avait trop hâté, eu égard aux allures des populations dont il avait à se faire suivre, et l’on a moins sacrifié à la raison philosophique. Au lieu de révolution, l’Autriche a une réforme royale qui s’accomplit par degrés. L’esprit nouveau gagne du terrain à chaque instant, autant que les antiques mœurs le permettent ; le gouvernement le favorise de toutes ses forces, car ici la pratique administrative se tient constamment à l’avant des mœurs.

En droit, l’égalité devant l’administration subsiste à peu près complètement en Autriche et en Bohême ; les nobles paient l’impôt comme le reste des citoyens ; tout le monde est admissible aux emplois civils, religieux et militaires ; les prérogatives seigneuriales, et particulièrement l’autorité judiciaire des seigneurs, sont réduites à de pures formes ; seules les places de cour, auxquelles n’est d’ailleurs attachée aucune fonction politique, sont réservées à la noblesse. Je dis en droit : si le fait n’est pas exactement conforme au droit, si, par exemple, la majeure partie des emplois est donnée à des nobles, la faute en est aux mœurs, qui sont encore peu traitables en Autriche quant au préjugé nobiliaire. La théorie du baron de Thundertentrunk est admise dans l’empire par la généralité des esprits. Elle fait loi dans les salons, ce qui n’empêche pas ceux de Vienne d’être charmans. La loi peut et doit préparer le remaniement des mœurs ; mais un gouvernement sage et bienveillant, un gouvernement paternel, qui déteste la violence, prend le temps comme il vient et le monde comme il est, sauf à utiliser le temps et à agir peu à peu sur le monde. Il prend en considération les mœurs, même quand il aspire à les changer. Il accepte provisoirement les idées dominantes, préjugés ou non, sauf à les remanier graduellement. Il se garde d’y porter la hache, parce que ce serait infliger de cruelles douleurs à la société tout entière, y compris ceux-là même dont on voudrait servir la cause. Il a horreur des procédés de la convention ou de ceux de Pierre-le-Grand. Cela, je le reconnais,